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INTRODUCTION

aujourd’hui par la poésie, que la faute des aïeux du genre humain ait pu élargir les horizons de la vie.

Une pareille conclusion serait insensée.

Mais, un fait certain, c’est que le véritable poète ne peut rien produire, même quand il n’exprime ni espérances ni regrets, sans que ses écrits portent un vague reflet de souffrance : tel l’érable de la forêt canadienne, qui ne peut donner sa sève délicieuse sans une blessure au flanc.

De même aussi que la perle est l’effet d’une maladie, la poésie, cette perle de l’âme, reflète sur le front de l’homme un pâle rayon de l’auréole qui en est tombée, et Dieu la lui a donnée comme ressouvenir du séjour merveilleux qu’il habitait avant sa chute, et comme une compensation de l’incommensurable perte que sa désobéissance lui a fait subir.

Oui, la poésie est pour l’homme un ressouvenir et une compensation.

Elle lui fait voir la nature à travers un prisme ; elle lui fait entendre une mélodie dans le bruit de l’eau qui s’écoule, dans le murmure du vent qui passe, dans le bégaiement de l’enfant au berceau ; elle lui montre le plus beau spectacle imaginable dans un coucher de soleil ou dans un lever d’aurore, un ange dans la femme, plus qu’un homme dans celui qui, pour servir sa patrie ou expier les crimes de ses frères, va donner sa vie sur un champ de bataille ou sur un échafaud.

La poésie est innée, et quiconque ne l’a pas reçue en naissant peut, à force de travail, devenir un