Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/138

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Depuis la lettre qui l’avait si profondément remué, l’écrivain associait Lucien au changement qui s’était accompli en lui.

Lucien allait mourir. Quand un homme meurt, le monde finit pour lui. C’est la fin du monde. Que l’univers soit anéanti d’un coup, que des millions d’autres êtres soient pulvérisés en même temps n’ajoute rien à l’horreur sans mesure de la mort d’un seul. On ne meurt pas plus, on ne disparaît pas plus complètement dans une hécatombe. Faut-il donc plus d’imagination pour comprendre l’horreur de la mort individuelle que pour s’émouvoir de l’anéantissement possible de la terre ?

Georges méditait ces pensées en se rendant à l’hôpital. Le taxi s’engagea dans une longue allée de peupliers et le visiteur aperçut, à l’extrémité des arbres, un bâtiment noir, comme un immense oiseau aux ailes déployées. De la terrasse, surélevée de quelques marches, il distingua des terres cultivées à perte de vue, coupées de bosquet et frangées de formes confuses. Des moineaux pépiaient dans les pampres rouges qui couvraient le mur latéral d’une chapelle voisine. Il poussa une lourde porte vitrée, traversa une rotonde, suivit un corridor bordé d’étalages somptueux, brillamment éclairés mais déserts et se mit à déchiffrer les