Page:Charbonneau - Aucune créature, 1961.djvu/164

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nueraient de passer derrière cette vitre, courant à leurs affaires, indifférents à ce qui m’arrivait. Et c’est cela qui me faisait le plus mal : l’indifférence des gens. J’en avais la nausée. Le monde tout à coup me parut irréel. À ce moment, je cessai de croire qu’on allait me tuer. Je l’avais cru tout d’abord, tant mes assaillants mettaient de vigueur dans leurs coups. Mais quand Mayron m’a parlé, quand ils ont commencé à me parler, j’ai cessé d’attendre la mort, si ce n’est par accident. Mais je vous ennuie avec toute cette histoire.

— Au contraire, Brouillé, mais je crois que vous devez vous hâter de rentrer chez vous.

— Vous savez, patron, en ce moment, j’ai l’air plus piteux que ce que je ressens.

— Je n’en doute pas.

— Ce n’est pas tous les jours qu’on peut se révéler à soi-même son courage.

Le bouffon reprenait le dessus en Brouillé, un personnage qui ne sommeillait jamais longtemps. Il se rendait compte, le danger passé, que la peur entrait pour une part importante dans la douleur qu’il avait ressentie sous les coups. Maintenant, dans l’exaltation de survivre, il crânait, se jouait un rôle, comme il avait fait toute sa vie et particulièrement le jour où il avait, dans un geste qu’il jugeait