Il s’éveilla brusquement, l’âme tourmentée, le corps baigné de sueurs. Il avait l’impression terrifiante de ne pouvoir bouger. Dormait-il encore ? La fièvre incendiait son front et un relent de cambouis lui épaississait la bouche. Il se débattait intérieurement dans une sorte d’état cataleptique. Sa pensée même le fuyait, lui devenait étrangère. Pourtant, rien ne l’empêchait, croyait-il, de rompre le cercle infernal où il était retenu — s’il le voulait avec assez de force — de quitter son lit, cette maison hallucinée, de s’enfuir dans la rue, de se jeter contre les passants et de rentrer de cette façon perverse dans l’univers du tangible, du mouvant. Mais justement, il n’en faisait rien, immobile au fond de son lit bouleversé, insensible aussi, ne pouvant fuir en lui cette brûlure qui le résumait tout entier, ni échapper à cet ultimatum que, de son lit d’hôpital, Lucien Guilloux venait de lui adresser.
Autour de lui, les murs jaunis de sa chambre, avec leurs taches d’eau, les tableaux qu’il aimait, la constellation des photos d’enfants, la haute commode en placage d’ébène, les doubles rideaux cramoisis dans l’encadrement de la fenêtre, tout ce décor familier, vidé de substance, semblait flotter hors du temps.