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ET LES JOURS

Auguste sait vaguement qu’il y a une guerre. Son père en commente les péripéties le soir quand les enfants sont couchés. C’est un peu à cause de la guerre qu’on engraisse deux cochons et qu’on mange de la margarine américaine, que Mme Prieur frotte avec une amande avant de l’étendre sur le pain. De plus, une des chambres du premier, restée sans meuble, sert à remiser des provisions : sacs de sucre, de farine d’avoine, caisses de margarine, de pommes sèches, de figues et de raisins secs. Auguste s’y glisse en tapinois avec son frère et ils mêlent dans leurs poings des portions égales de sucre brun et de farine d’avoine qu’ils vont déguster dans la cour.

La grand’mère est leur unique trouble-fête. Elle est toujours aux aguets. À cause de ses rhumatismes, elle garde souvent la chambre. Elle occupe au rez-de-chaussée, un ancien cabinet de travail, attenant au hall d’entrée et lambrissé de chêne à hauteur d’homme. En face de cette pièce, où les enfants vont en tremblant embrasser l’aïeule, s’ouvre le salon contigu à la salle à manger et séparé du hall par de grandes portes de chêne rouge. C’est dans ce salon qu’Auguste a eu pour la première fois le senti-