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ET LES JOURS

se aller à sa douleur. Elle pleure de soulagement et de pitié sur la femme qu’elle est devenue. Un ressort s’est brisé en elle, la rendant incapable de résistance et même de volonté. Si elle a encore honte, ce n’est pas de son état, mais des coups qu’elle reçoit. Au fond de son cœur, elle est presque contente d’être retenue de force dans cette maison, témoin de son humiliation et de sa déchéance. Où irait-elle ? Sa jeunesse s’est flétrie avec sa beauté. Les coups de la brute qui la possède, suivis de caresses et de cajoleries, lui sont devenus indifférents. Elle a peur mais ce n’est pas des événements, si pénibles fussent-ils, c’est d’elle-même. Jusqu’où peut-on descendre dans l’abjection ? La pensée de son enfant la pousse parfois à se révolter, mais ses élans durent peu.

Pourtant quand elle a appris le retour de Pierre, elle a retrouvé un peu de courage. C’est alors qu’elle a voulu fuir. Mais secrètement peut-être espérait-elle que Bernard surprendrait ses préparatifs, l’arrêterait. « Je ne serais jamais délivrée de moi-même. Et mon petit Pierre qu’en ferais-je ? »