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ET LES JOURS

dant une demi-heure sans qu’il survienne entre eux des échanges aigres-doux. Eugénie ne lui en garde pas rancune. Elle oublie aussitôt.

En ce moment, il est seul dans le salon, séparé de la chambre de ses parents par une porte d’arche. À travers la portière de verre filé, Pierre entend les ronflements de son père adoptif, endormi tout habillé dans son lit.

Bernard Massénac a de petits yeux bleus, embusqués derrière d’épais sourcils, le nez, légèrement recourbé vers la bouche, s’est épaissi à la suite d’un coup, le menton rond se creuse au milieu, le front est large. L’ensemble du visage fait penser à Victor Hugo vieux. Il cultive d’ailleurs cette ressemblance avec Hugo « penseur ». Il est affreusement bancal. Quand on ne le connaît pas, il est impressionnant. Taciturne par tempérament, il peut rester des heures dans un salon, sans dire une phrase. Par contre, dans les assemblées, c’est un tribun redoutable. On ne sait jamais ce qu’il pense. Dans sa jeunesse, il a été marin. Il a participé à des enlèvements. Il a raconté à Pierre, un jour de bonne humeur, l’histoire de ce tailleur, père de trois enfants, enlevé par lui dans un caboulot de Boston, après avoir été préalablement dro-