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LA CRISE

terme suprême du bonheur, dans la mesure où il est réalisable sur la terre. Mais, vous aussi, Thérèse, et vous aussi, Jean, vous éprouverez toutes les joies de la contemplation alternant avec l’apostolat. Ici, c’est la source des Grâces obtenues seulement par la prière ; mais cette source doit s’épancher à travers le monde, et votre zèle saura y pourvoir. Ma pensée vous suivra partout ; je vous aimerai, ainsi que j’en ai pris l’engagement.

La conversation se prolongea encore quelques instants ; la postulante s’informa de tout ce qui concernait Alice ; elle n’oubliait rien du drame qui avait abouti à des solutions si harmonieusement combinées. Les cœurs les plus meurtris se retrouvaient dans une atmosphère de sérénité divine. Puis, la cloche du couvent se fit entendre ; c’était la fermeture du parloir. La Carmélite disparut ; Jean et Thérèse retournèrent chez eux, après s’être rendus à la chapelle du monastère pour y exhaler leur reconnaissance ; la voix si douce de leur amie résonnait encore au plus profond de leur cœur…

Une semaine plus tard, Jean était au Séminaire. Il y prit la soutane au cours d’une cérémonie très simple, à laquelle assista toute sa famille ; il prononça avec conviction la formule sacrée : « Le Seigneur est la part de mon héritage. » Puis, il se mit à ses études philosophiques avec une ardeur qu’il n’avait pas ressentie au Collège. Cette année scolaire allait passer plus vite encore que les précédentes ; l’automne et la chute des feuilles, sur les pentes du Mont-Royal, lui semblaient la fin de ses illusions d’adolescent. Quand l’hiver s’annonça avec ses neiges, les vastes surfaces immaculées qu’il apercevait eurent pour le jeune artiste un sens mystique : c’était la blancheur, l’innocence complètement reconquise. Enfin, la belle saison reparut, après les mois de labeur recueilli ; alors, Jean se rendit pleinement compte qu’il était un homme nouveau, débordant d’une vie qui n’était pas celle de la nature.

C’est ainsi qu’il s’achemina vers le sacerdoce, revenant chaque année à la Ferme des Érables, y étant pour tous un sujet d’édification. Il revit plusieurs fois la Carmélite, il assista à ses vœux solennels, ainsi qu’à l’entrée en religion de sa sœur Thérèse. Il revit plus souvent encore sa voisine Alice, durant les vacances suivantes. Ovila Paquette était fiancé avec elle, et Jean n’en éprouvait plus aucun regret. Le jeune abbé prenait part volontiers aux joyeuses réunions de famille, à la Ferme des Ormeaux. Alice et Ovila l’aimaient comme un frère. Un an avant sa prêtrise, il assista au mariage projeté et bénit intérieurement les circonstances qui l’avaient conduit à un état supérieur. Il devint un prêtre comme l’Église souhaite d’en avoir beaucoup ; il aima les âmes de toute l’ardeur de son âme régénérée, retrouvant toujours dans ses rêves les campagnes du pays natal, élargies à travers tout le Canada où il devait passer en faisant le bien ; parmi ces horizons, il découvrait chaque jour, à l’heure du Saint Sacrifice, les douces images transfigurées qui avaient ravi son cœur de dix-sept ans.


FIN