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LES DÉMONIAQUES DANS L’ART.

satisfait, comme dans les tableaux de Murillo représentant Saint Antoine de Padoue entourant de ses bras l’enfant Jésus ; de l’acceptation, de la soumission, comme dans l’apparition de la Vierge à Saint Bernard, de Murillo ; enfin aussi de la souffrance et de la douleur, comme dans le Saint François recevant les stigmates, de Cigoli ; de la défaillance et de l’abattement, comme dans une fresque de Sodoma représentant l’Évanouissement de Sainte Catherine, ou bien encore dans un tableau de Lanfranchi qui représente Sainte Marguerite de Cordoue en extase.

Pour rendre toutes ces expressions variées les artistes ont pu trouver dans les sujets hystériques d’inappréciables modèles. Cette assertion ne paraîtra point hasardeuse ni exagérée à tous ceux qui, comme nous, ont vu des hystériques, même filles du vulgaire, dans une certaine phase de la grande attaque prendre sous l’empire d’hallucinations d’ordre religieux des attitudes d’une expression si vraie et si intense que les acteurs les plus consommés ne sauraient mieux faire et que les plus grands artistes ne sauraient trouver des modèles plus dignes de leur pinceau.

Pour peindre une extatique, l’artiste a donc cherché à rendre une pensée, un sentiment. Tout est mesuré, réglé, rationnel dans sa figure ; tous les traits, tous les mouvements concourent au même but, l’expression. Nous jugeons de la valeur de son œuvre suivant que le but est plus ou moins bien atteint, que les qualités d’expression de la figure sont plus pures, plus vraies, mieux rendues. Dans les figurations de démoniaques, il n’en est plus de même. Nous sommes là en présence d’attitudes bizarres, de contorsions étranges, de déformations des traits qui ne répondent à aucune idée, à aucun sentiment. C’est la période de la grande attaque désignée sous le nom de période d’attitudes illogiques, par opposition à la suivante qui est celle des attitudes passionnelles.

Toute ressource manque à l’artiste peintre, sculpteur, acteur, en dehors de l’observation exacte de la nature. Car il ne suffit pas seulement de déformer à plaisir et de faire étrange à volonté ; il y a sous cette incohérence apparente une raison cachée qui relève d’un processus morbide, et, dans la nature des déformations des parties ou des contorsions de l’ensemble, de même que dans le mode de succession et de groupement de tous ces phénomènes, on retrouve, ainsi que le démontrent nos études sur les œuvres des maîtres anciens ou modernes, les marques indiscutables d’un ordre préétabli, toute la constance et l’inflexibilité d’une loi scientifique.

FIN

Bourloton. — Imprimerie réunies, B, rue Mignon, 2.