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AU LECTEUR



Ce livre est destiné à l’enseignement. Il a été composé pour ceux qui font leurs humanités et qui, au moment d’entrer dans la vie, aspirent à la connaître par son côté paisible et poétique. Cette antiquité, dont ils ont appris la langue, dont ils savent les actions héroïques et les pensées, ils en ignorent les arts. Dans les créations de l’artiste, pourtant, sont déposées les pures essences de la philosophie antique. C’est là que l’idée a pris une forme sensible ; c’est là que respirent les dieux de Virgile et d’Homère, rendus visibles par des métamorphoses plus étonnantes encore et plus charmantes que celles d’Ovide. Comme nous l’avons dit ailleurs, l’éducation de la jeunesse en matière d’art est complètement nulle. Tel lauréat brillant et superbe achève ses études classiques sans avoir la moindre teinture des arts. Il connaît les affaires des anciens Grecs, leurs capitaines, leurs orateurs et leurs philosophes, leurs querelles intestines et leurs grandes guerres médiques ; mais il ne connaît ni leurs idées sublimes sur la peinture et la statuaire, ni leurs adorables dieux de marbre, ni leurs temples divins.

Si l’enseignement public est resté si longtemps muet sur les questions d’art, cela tient sans doute à la prédominance de certaines idées mal comprises. Par une abominable confusion, tant de chastes divinités, dont la présence élève l’âme et la purifie, étaient regardées comme des images suspectes enveloppant l’esprit du mal et toutes pleines de séductions dangereuses. De là l’éloignement de l’institution cléricale pour les arts païens, sentiment qui, dans nos collèges laïques, se traduisait par le silence. Et cependant, les grands papes qui firent peindre, sur les murailles du Vatican, l’École d’Athènes et le Parnasse, qui consacrèrent à l’Apollon, à l’Antinoüs, les plus belles chambres de leurs palais, ces pontifes à jamais illustres et qui, eux aussi, furent infaillibles, ne croyaient pas faire une œuvre impie en présidant à la résurrection de la beauté antique. Pourquoi donc serions-nous plus chrétiens que Jules II et Léon X ?