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DE LA FIGURE HUMAINE.

et de vouloir. Il établit des relations, mais il n’a, pour communiquer ses désirs ou ses craintes, qu’une voix, un glapissement, un cri. Ayant tout reçu de la nature, leurs vêtements, leurs fourrures, leurs armes et des aliments à leur portée, les animaux n’ont plus rien à conquérir, et le progrès, par cela même, leur est interdit. Ce sont des instruments admirables qui paraissent attendre une volonté supérieure pour la servir. Ils ont la vie extérieure sans doute, mais non point la vie de l’espèce. Incapables de pénétrer l’essence des choses, ils ne sauraient posséder entièrement le beau, parce qu’ils n’en possèdent point l’idée.

Maintenant, si nous montons au sommet de la création terrestre, nous voyons tout à coup apparaître la raison. Ce qui était animé est devenu intelligent, ce qui était symétrique est devenu beau. La plante était muette, l’animal avait une voix, un cri : l’homme seul a le langage et la mélodie. Le végétal était captif, la bête se mouvait dans le cercle fatal de ses instincts : l’homme seul est libre, et il est libre en vertu du principe même qui lui fait comprendre la nécessité. En lui la vie extérieure de l’animal est devenue collective : il communique non seulement avec ses contemporains, mais avec tous les êtres qui furent distribués dans l’étendue des âges ; il vit de la vie universelle de l’espèce, c’est-à-dire de la seule vie qui puisse développer l’être. « L’humanité, dit Pascal, est un homme qui vit toujours et qui apprend sans cesse »

À l’inverse des animaux, qui ont tout reçu, l’homme a dû se donner toute chose, et par cela même la loi du progrès lui a été imposée. Sa faiblesse l’a conduit à découvrir les éléments de la force ; sa nudité l’a contraint de se créer des vêtements et d’inventer une architecture ; son impuissance, en un mot, l’a forcé à devenir le maître. Aujourd’hui, faute d’avoir des ailes, il s’élève au-dessus des nuages. Une vapeur avait rendu son corps aussi rapide que le vent ; un fil rend sa volonté aussi prompte que l’éclair. Tous ces miracles ont été accomplis par l’intelligence, et l’intelligence, encore une fois, n’a pu se développer que par la vie de l’espèce. Cette vie est si essentielle à l’homme, que les organes qui devaient la servir lui ont été donnés doubles. Voilà pourquoi il a deux yeux, deux oreilles, deux bras et deux jambes, deux mains et deux pieds, une vie gauche et une vie droite. Mais cette symétrie, qui lui était commune avec la plupart des animaux, ne suffisait point à sa grandeur. Il fallait que le plus intelligent des êtres en fût aussi le plus beau. Comment l’âme, qui peut transfigurer la laideur, n’achèverait-elle point la beauté ?

Qu’il y a loin du plus parfait des animaux à l’homme parfait ! La beauté de l’animal est toute de convenance. Elle tient à l’évidente destination de ses membres pour la fonction particulière qui lui est départie. Un lévrier, un cerf, une gazelle, offrent si bien le caractère de l’agilité, que, même quand ils sont immobiles, on les voit courir. Un tigre nous paraît beau parce qu’il est une définition vivante de la cruauté. La souplesse de ses