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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

membres, le velouté de son regard, sa tête aplatie qui se développe en mâchoires, composent une image expressive et saisissante de la volupté dans le carnage. Mais, on le voit, ce sont là des beautés de caractère, et les animaux, à vrai dire, n’en sauraient avoir d’autre. Le lion est majestueux, mais sa tête est d’une grosseur démesurée ; le taureau est fier, mais il a les jambes trop grêles ; l’éléphant est imposant, mais ce n’est qu’une masse à peine dégrossie, et comme un souvenir du chaos qui précéda l’arrivée de l’homme sur la terre ; le cerf est élégant, mais entre son bois et ses jambes il y a une disproportion choquante, et lui-même il en fut choqué, au dire du fabuliste, lorsqu’il se mirait autrefois dans le cristal d’une fontaine ; le lévrier est un modèle de sveltesse, mais sa tête n’est, pour ainsi dire, qu’un nez ; l’aigle, quand il plane au haut des airs, prêt à fondre sur sa proie, est un symbole ; étonnant de rapacité, de violence et d’audace, mais c’est encore par le caractère qu’il est beau, et par ce regard auquel nous avons prêté quelque chose d’humain. Il y a de la grâce dans les ondulations du serpent, mais son corps sans nageoires, sans pieds ni ailes, est un corps informe… Entre tous, le cheval est beau, malgré la longueur de son cou, mais il est beau surtout lorsqu’il porte son maître et paraît, comme dit Racine, se conformer à sa pensée ; lorsque, repliant son encolure, l’œil étincelant, les naseaux pleins de feu, il semble frémir au sentiment d’une beauté supérieure, celle du cavalier… Comment, d’ailleurs, comparer l’homme avec les animaux, sans s’apercevoir que les plus beaux d’entre eux n’offrent à l’œil qu’un vêtement, et que leurs formes offusquées par des poils, couvertes de plumes ou cachées sous des écailles, ne sauraient avoir la finesse de la forme humaine, toujours sensible sous une peau unie, élastique et délicate ?

Mais l’étude de l’homme va nous conduire à d’autres observations : À mesure que la création s’élève, elle diminue l’importance de la couleur pour s’attacher de préférence au dessin. En descendant l’échelle des êtres, nous voyons la nature faire resplendir de plus en plus les tons de sa palette. C’est, en effet, dans les corps inorganiques, dans les pierres précieuses et dans les métaux que se trouvent tous les trésors du coloris le plus exalté. Viennent ensuite les colorations du règne végétal, déjà moins éclatantes et moins riches, mais ravissantes par la fraîcheur, par la finesse des transitions et l’harmonie. Parmi les animaux, ce sont les moins développés qui sont les plus beaux de couleur. Sur les écailles des poissons, sur les élytres du scarabée étincellent l’or, l’argent et la nacre, les tons de l’émeraude, du saphir, du rubis et de l’azur. Les oiseaux présentent encore des teintes splendides, mais il est à remarquer que les plus intelligents d’entre eux sont les moins colorés. Quelle distance entre l’éblouissante parure du paon,

Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies,