Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/104

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
94
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

Supposons maintenant que tant de châssis délicats se changent en murailles, que les vitrages soient remplacés par des pierres, le sentiment du spectateur va devenir grave à mesure que la construction deviendra massive. Lorsque des hommes désenchantés de la vie se réunissent dans un lieu solitaire pour vivre sans famille, prier et méditer en silence, leur premier soin est d’élever un rempart entre eux et le monde. Ensuite, non contents de fuir les bruits du dehors, ils se défendent même contre les bruits du cloître en se bâtissant des cellules qui les séparent les uns des autres. Ici l’architecture va présenter beaucoup de surfaces pleines et peu d’ouvertures, même au dedans, de sorte que le voyageur séculier qui apercevra de loin le monastère ou qui voudra le visiter, recevra une impression de recueillement religieux et se sentira gagné un instant par le goût de la vie contemplative, silencieuse et murée.

Revenus des lieux écartés où s’élève l’architecture monastique, au milieu du mouvement qui anime les cités actives, nous y rencontrons des bâtiments de toute espèce, indiquant les divers besoins inventés par le génie de la civilisation : ici une douane, là un théâtre, plus loin un tribunal, une prison, une caserne, un musée… et chacun de ces édifices, suivant que les vides l’emporteront sur les pleins ou les pleins sur les vides, nous procurera une première sensation, douce ou pénible, et devra nous suggérer les idées de liberté et de plaisir, ou bien celles de force, de compression, d’austère justice. Si nous approchons d’un musée, nous en serons avertis par la multiplicité des fenêtres, qui perceront quelquefois jusqu’à la toiture ; si nous passons sous les murailles d’une prison, les fenêtres ne seront plus que des baies étroites, plus larges que hautes, et dont la rareté sinistre annoncera l’obscurité des cachots ; si c’est une douane, le caractère massif et rude de l’édifice manifestera une pensée hostile à la liberté de la circulation et des échanges, c’est-à-dire un autre genre de prison ; si c’est un fort, les ouvertures ne seront plus que des meurtrières, tout juste assez grandes pour laisser passer l’œil d’une sentinelle ou le canon d’une arme à feu.

Les architectes antiques avaient parfaitement compris cette expression des pleins et des vides. Les monuments les plus graves, les plus imposants de leur architecture sont les temples égyptiens, qui n’admettent le plus souvent d’autre ouverture extérieure que la porte, percée entre deux énormes massifs de pierre ou de granit appelés pylônes et semblables à des tours carrées. Des escaliers conduisent aux plates-formes établies sur le sommet des pylônes ; mais ces escaliers ne sont pas visibles du dehors : ils prennent jour sur les cours intérieures. Un mystère s’élève ainsi entre le sanctuaire et le peuple : impénétrable aux regards du passant, le temple ne reçoit la lumière que par des ouvertures supérieures ; il est hypæthre, ce qui veut dire découvert par en haut ; il