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AU LECTEUR.

de la langue allemande, chez un peuple qu’enchante le crépuscule des idées, et qui a le privilège de voir clair dans l’ombre ; mais en France, au milieu d’une nation de race latine, dont l’indigène bon sens est une perpétuelle ironie contre les rêveurs, comment parler du subjectif et du non-moi, et du sublime dynamique, et de toutes ces choses qui, déjà passablement obscures, demanderaient au moins des expressions intelligibles, une forme claire, dépouillée de tout pédantisme, exempte aussi de trivialité ? Que penserait, que dirait Voltaire, s’il ouvrait certains livres qui se sont publiés après lui sur l’esthétique, si, par exemple, il lisait dans l’Anglais Burke « que l’effet du sublime est de désobstruer les vaisseaux, et que l’effet du beau est de relâcher les fibres du corps ? » Imagine-t-on quels trésors d’esprit et de bonne humeur il eût ajoutés à son immortelle plaisanterie ?

Oui, c’était le plus difficile et le plus impérieux de nos devoirs que d’être clair. Le temps n’est plus où les écrivains pouvaient se renfermer dans une sorte de franc-maçonnerie interdite au vulgaire. Il faut écrire aujourd’hui et parler pour le grand nombre ; or est-il une étude qu’il importe plus de rendre facile, que l’étude de la beauté et de la grâce ? Si nous n’avons pas reculé devant les difficultés de notre tâche, c’est que nous étions soutenu par l’amour des belles choses et par le plaisir de les mettre en lumière. Mais, pour aller de bon cœur jusqu’au bout, nous avons besoin que le lecteur veuille bien ajouter à son attention un peu de bienveillance. Le statuaire Puget avait coutume de dire : « Le marbre tremble devant moi ; » animé d’un tout autre sentiment, l’auteur de ce livre dira au contraire : « Je tremble devant le marbre. »


Juillet 1880.