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GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

n’est pas tout : les Grecs, ayant serré l’entre-colonnement aux angles de l’édifice, avaient été conduits à placer le dernier triglyphe, non pas au droit de la dernière colonne, mais au tranchant de la frise, et cela pour les vives raisons que nous avons plus haut déduites. Les Romains, comme l’enseignent Vitruve et les architectes de la Renaissance, ont terminé la frise par une demi-métope, parce qu’ils ont fait le dernier entre-colonnement égal aux autres. Ils ont commis de la sorte une double faute : en compromettant la solidité réelle et apparente, qui veut des colonnes moins espacées dans chaque retour d’équerre, et en montrant une métope pliée en deux, c’est-à-dire un membre faible et en retraite, là justement où était représenté jadis un point d’appui énergique et en saillie.

On le voit clairement, la notion de l’art grec nous a été transmise telle que Vitruve la possédait, c’est-à-dire sensiblement faussée et corrompue.
exemple de triglyphes à ressaut.
Si les écrits d’Ictinus et de Carpion sur le temple dorique de Minerve, le Parthénon, étaient arrivés jusqu’à nous, l’architecture grecque nous eût été connue dans toute sa pureté. Aujourd’hui, du moins, elle nous est révélée par ses monuments eux-mêmes, elle y vit, elle y parle. Et quelle différence entre le dorique romain et le dorique grec ! entre cet art lourd, timide, sans moelle et sans caractère, dont les raides préceptes se sont perpétués dans les écoles, et cet art dorien, si robuste, si vivant et si fier, qui, des rives de la Grande-Grèce à l’Acropole d’Athènes, se montre maintenant ruiné, mais auguste, à nos yeux dessillé, étonnés ! Encore une fois, cet art que nous avions cru enchaîné, inimitable, inflexible, il nous paraît au contraire libre et hardi, malgré son respect pour certaines lois éternelles. Jamais il n’est esclave de la symétrie ; jamais il n’est rivé à une formule. S’il obéit toujours à de grands principes, il n’est pas gêné du moins par de petites règles. Souvent il emploie les artifices les plus délicats pour arriver à l’expression de la vérité. Aussi le voyons-nous se modifier peu à peu sous l’influence du génie athénien, qui vient modérer, en y mêlant avec mesure un sentiment de grâce, le laconisme farouche de l’ordre dorique primitif.

Elles sont visibles, ces transformations, dans les divers temples de l’ordre dorique qui nous ont été conservés ou dont la restitution est facile. Ainsi se vérifie ce que nous disions des trois ordres, que chacun d’eux présente des variantes en plus ou en moins, selon qu’il s’éloigne ou se rapproche de son origine. Les colonnes tendent à devenir plus élancées et les entablements moins massifs ; l’ordre acquiert par degrés toute l’élévation compatible avec la solidité et l’énergie.