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DES PROPORTIONS DU CORPS HUMAIN.

son médius. Toutes les figures du bas-relief ont dix-huit mesures, plus une fraction qui varie ; mais la variété ne se produisant qu’à partir de la dix-huitième, chaque figure est conforme au canon, depuis la plante des pieds jusqu’aux frontaux, dans toutes les parties de la vie organique. Les différences ne sont sensibles que dans le développement et la forme du crâne, c’est-à-dire dans l’organe de la volonté et de la pensée ; de sorte que, pour ces philosophes qui avaient plongé si avant dans la nature, l’unité absolue du type annonçait déjà la variété des êtres. L’exemplaire primitif, tel qu’il était sorti des mains de Dieu, était l’image d’une perfection suprême à laquelle aucun individu ne pouvait atteindre. Réaliser dans sa plénitude le type original, le modèle accompli, cela n’était donné à personne, pas même à ces Pharaons que divinisaient l’ignorance et la crainte. Ainsi la superbe figure de Thoutmès III, représenté assis tenant son sceptre et coiffé d’une mitre que décore la vipère royale, l’uræus bien qu’emprisonnée dans les carreaux du canon égyptien, ne touche point à l’extrémité de la dix-neuvième division ; mais, depuis les bosses frontales jusqu’à la plante des pieds, cette figure obéit aux lois de la symétrie commune. Chose étrange ! la statue modèle qu’on s’attendrait à voir tête nue est coiffée tout exprès d’un casque royal, comme si les prêtres eussent voulu, en cachant la ligne qui achevait la perfection, laisser dans le mystère l’accomplissement de la beauté absolue…

Les sculpteurs, les peintres surtout, redoutent l’empire de la géométrie. Ils considèrent la règle comme une entrave à la liberté de leurs inventions, et ils rappellent volontiers qu’il faut avoir le compas dans l’œil, suivant le mot de Michel-Ange, sans songer que ce grand homme, avant de s’exprimer ainsi, avait eu longtemps le compas dans la main. Loin de gêner les allures du génie, la règle des proportions est justement ce qui lui permet d’être libre. Qui dit proportion, dit liberté. Du moment qu’on ne prend pas l’unité de mesure en dehors de l’homme, comme l’ont fait Schadow, Paillot de Montabert, Horace Vernet, qui ont employé le pied du Rhin ou le mètre, l’artiste peut agrandir ou diminuer ses figures, les concevoir grêles ou ramassées, massives ou élégantes ; il peut même les étirer ou les raccourcir selon les méthodes tracées par Albert Durer, pourvu qu’il observe les relations réciproques des membres et qu’il maintienne ses personnages dans leur caractère, car l’unité de l’espèce doit se retrouver toujours dans la variété des individus. « Jamais il n’arrive, dit Durer lui-même (au troisième livre de ses Proportions), qu’un renard diffère des autres renards au point de ressembler à un loup. »

Les Grecs, qui ont suivi le canon et qui ont glorifié Polyclète pour l’avoir écrit et sculpté ; les Grecs, qui avaient pris soin de mesurer et de peser les membres du corps humain, comme le prouvent leurs pierres