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ORIGINE ET CARACTÈRE DES ARTS DU DESSIN.

leur avaient imposé des patrons invariables pour tous les genres d’ouvrages. « Les modèles, dit Platon, étaient déposés dans le temple, et défense était faite aux artistes de s’en écarter jamais. » Quand le pouvoir laïque eut supplanté le sacerdoce, les arts contenus dans l’architecture furent délivrés par cela même d’un joug tyrannique. Ils se détachèrent des murailles du temple, et on les vit sortir des profondeurs du sanctuaire pour se répandre dans la société profane, orner les palais, les jardins, les gymnases, et entrer jusque dans l’intimité domestique. Dès lors affranchies, la sculpture, la peinture, perdirent de cette grandeur solennelle que leur avait prêtée l’architecture lorsqu’elle les abritait dans sa primordiale unité, mais elles conquirent le mouvement, la variété, la liberté, la vie. « De même, dit Lamennais, que les êtres renfermés dans le monde naissant, où ils n’ont qu’une existence virtuelle, se dégagent peu à peu, s’individualisent dans le tout qui en contenait le germe, ainsi, de l’architecture, leur matrice commune, se dégagent, par une sorte de travail organique, les arts divers qu’elle contenait virtuellement, et qui, toujours unis à elle, quoique distincts d’elle, s’individualisent à mesure que s’opère cette évolution correspondante à l’évolution de l’univers. »

La sculpture fut la première à se détacher des entrailles maternelles. Elle n’était au commencement qu’un relief timide dont les profils étaient définis au moyen d’une vive coloration ; plus tard elle s’accusa par une saillie plus forte et qui se prononçait d’elle-même, mais toujours dépendante des lignes de l’architecture, toujours attenante à l’édifice. Si la figure faisait un pas en dehors, l’une des jambes était encore engagée dans la pierre du mur… Des siècles se passèrent durant lesquels la sculpture conserva cette attitude ; mais enfin la statue rompit sa dernière attache ; elle sortit du temple complète, vivante et libre.

Comme l’architecture, la statuaire agit sur la matière inorganique et la façonne sous les trois dimensions, longueur, largeur et profondeur. Mais l’architecte, voulant rappeler vaguement la création, la représente tout entière dans son œuvre ; le sculpteur, choisissant dans le vaste sein de la nature l’être en qui se manifeste l’intelligence, se propose d’exprimer l’esprit sous la forme qui lui est propre, la forme humaine. Ainsi la sculpture devient un art indépendant le jour où l’homme, après avoir adoré le Dieu-Univers, commence à se connaître et à s’admirer lui-même. Du sein des multitudes qui composent les peuples, sont sortis des héros bienfaiteurs que d’abord on a glorifiés, que bientôt l’on divinise, et la religion, transforme, se représente Dieu sous la figure d’un homme, de l’homme parfait. Après le panthéisme de l’Orient, exprimé par l’architecture, qui est un abrégé du monde, vient le polythéisme de la Grèce, représenté par la sculpture, qui est l’apothéose de l’humanité.