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ORIGINE ET CARACTÈRE DES ARTS DU DESSIN.

s’adresse. Visible, mais impalpable et en quelque sorte immatérielle, son œuvre ne relève pas du toucher, qui est la vue du corps ; elle relève uniquement de la vue, qui est le toucher de l’âme. La peinture est donc, par ce côté, l’art essentiel du christianisme.

Chrétienne, elle l’est aussi par le caractère expressif de ses œuvres. Là où le statuaire antique craignait d’altérer par l’expression la beauté plastique de ses figures, beauté divine, empreinte d’une sérénité olympienne, le peintre, occupé du sentiment moral, cherche le divin dans l’expression plutôt que dans la beauté. Que dis-je ! il ne repousse pas même la laideur, dès qu’il espère la transfigurer par l’esprit. Pour lui, les êtres les plus déchus peuvent se relever en invoquant une lumière d’en haut, un rayon du paradis.

Ce n’est pas tout : l’homme chrétien, n’étant plus un dieu, retombe de l’empyrée dans la vie terrestre. Il y reprend son rôle accidenté, ses vêtements humains ; il dépouille cette nudité du marbre qui le rendait digne de l’Olympe en le forçant d’être aussi beau que les immortels. Replongé dans le sein de la nature, il en sera désormais inséparable. Le peintre devra donc le représenter avec les circonstances de temps et de lieu qui le particularisent, je veux dire sous le costume dont il est revêtu, au milieu du monde qui l’entoure, encadré par le paysage où il se meut, et accompagné des animaux qui l’ont servi… Ainsi renait l’importance de la couleur, car la nature, nous l’avons dit, est le plus merveilleux des coloristes, et comnent la peindre sans lui emprunter son secret, sans puiser dans ses trésors ? Ah ! si le peintre, comme un Phidias, comme un Lysippe, n’avait à figurer que des types humains, la majesté dans Jupiter, la force dans Hercule, il pourrait se passer des richesses du coloris et peindre d’un seul ton, modifié seulement par la lumière et par l’ombre ; mais l’homme le plus héroïque du christianisme n’est pas même un demi-dieu ; c’est un être profondément individuel, tourmenté, luttant, soutirant, et qui, tout entier dans la vie réelle, participe de la nature environnante et reçoit de toutes parts le reflet de ses couleurs. Tandis que la sculpture, en généralisant, s’élevait à la dignité de l’allégorie, la peinture, en particularisant, descend à la familiarité du portrait.

Marquer ainsi le caractère des trois arts du dessin était nécessaire pour l’intelligence de ce que nous dirons sur chacun de ces trois arts : maintenant il nous reste à formuler les lois qui régissent l’architecture, la sculpture, la peinture, et à montrer comment les périodes de leur ascension, de leur éclat et de leur décadence se rattachent au respect ou à l’oubli de ces lois. Dans ce travail, qui sera éclairé par l’histoire, on verra nettement ce qui unit les arts du dessin et ce qui les sépare ; mais déjà nous pouvons entrevoir que la sculpture et la peinture devront se sou-