Page:Charles Blanc-Grammaire des arts du dessin, (1889).djvu/96

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
86
GRAMMAIRE DES ARTS DU DESSIN.

chrétiennes sont hautes, et ces contrastes correspondent à des religions différentes ; ils expriment des pensées.

« Les religions de l’Inde, dit Lamennais, renferment toutes une idée panthéistique, unie à un sentiment profond des énergies de la nature. Le temple dut porter l’empreinte de cette idée et de ce sentiment. Or le panthéisme est à la fois quelque chose d’immense et de vague. Que le temple s’agrandisse indéfiniment ; qu’au lieu d’offrir un tout régulier, saisissable à l’œil, il force, par ce qu’il a d’inachevé, l’imagination à l’étendre encore, à l’étendre toujours, sans qu’elle arrive jamais à se le représenter tout ensemble comme un et comme circonscrit en des limites déterminées, l’idée panthéistique aura son expression. Mais, pour que le sentiment relatif à la nature ait aussi la sienne, il faudra que ce même temple naisse en quelque manière dans son sein, s’y développe, qu’elle en soit la mère, pour ainsi parler. C’est là, dans ses ténébreuses entrailles, que l’artiste descendra, qu’il accomplira son œuvre, qu’il fera circuler la vie, une vie qui (commence à peine à s’individualiser en des productions à l’état de simple ébauche : symbole d’un monde en germe, d’un monde qu’anime et qu’organise, dans la masse homogène de la substance primordiale, le souffle puissant de l’être universel. »

Ces belles considérations ne sont pas seulement d’un poète : elles se peuvent rigoureusement vérifier. Les temples indiens, ceux qui constituent véritablement l’architecture indigène, sont de vastes excavations dans le roc vif, pratiquées avec une patience qui a duré des siècles. L Inde en est remplie et tous les jours on en découvre en deçà ou au delà du Gange. Les plus fameuses sont celles de l’ile de Ceylan, des environs de Bombay, d’Éléphanta, de Bénarès, de Salsette, de Douhmar, de la côte de Coromandel… Aucun plan visible ne se fait comprendre dans ces monuments ; aucun ordre bien saisissable n’y règne. La pensée de l’architecte est obscure comme le sanctuaire qu’il a formé en évidant les montagnes ; elle est vague comme la divinité qu’on y adore, et il semble qu’en fouillant ainsi la nature, on ait voulu y poursuivre ce mystérieux Brahma dont le visage est partout, cet être universel qui réside caché, enveloppé dans les profondeurs de la création et confondu avec elle.

La religion des Indous, qui est un panthéisme mystique, a dû imprimer à leurs monuments le caractère qui les distingue, et c’est là sans doute la cause secrète d’une préférence aussi marquée pour la dimension indéfinie en profondeur. Même lorsqu’ils ont élevé des pagodes pyramidales, leur architecture, suivant l’observation de Thomas Hepe, tout en adoptant des formes un peu moins lourdes, représente encore la caverne creusée en plein roc et les matériaux amoncelés en pyramides à la surface du sol, après avoir été extraits du sein des rochers. Quant aux coupoles et minarets qui surmontent tant dédi-