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le peuple du pôle

n’était pas, naturellement, l’égoïsme qui me poussait à agir de la sorte, mais la simple prudence ; il suffisait en effet qu’un seul de nous demeurât éveillé, et ce devait être, en toute logique, celui qui n’avait pas perdu la raison. Je dois dire aussi que Ceintras manifestait depuis quelque temps un penchant immodéré pour les liqueurs, et que, si je n’y avais pas mis le holà, notre précieuse provision eût été rapidement épuisée. Enfin je craignais qu’en restant lui aussi éveillé durant la nuit, il ne gênât, avec sa folie, les observations que je pourrais faire.

Le jour même où les bouteilles furent mises en sûreté, Ceintras, après le repas, ne manqua pas de réclamer la ration que je lui autorisais d’habitude. J’avais préparé à l’avance une petite comédie destinée à lui donner le change ; de l’air le plus naturel du monde je me dirigeai vers le coffre ; l’ayant ouvert, je feignis une extrême stupéfaction et m’écriai :

— Ah ! par exemple !… Toutes les liqueurs ont disparu…

Il s’avança, regarda le coffre, puis tint ses yeux fixés sur moi… Il avait l’air de m’examiner avec méfiance. Alors, afin de dissiper ses soupçons, je fis semblant de réfléchir quelques minutes, puis, me frappant le front, je hasardai :