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Stanley raconte que l’un de ses guides lui en rendait le même témoignage[1], et cependant, déjà apparaissait l’action dévastatrice des métis qui avaient fixé leur centre à Nyangwé. Ils y étaient bientôt rejoints par un mahométan fameux, dont le nom deviendra, un jour, je le crains, plus fameux encore. Une fois sous la main des esclavagistes armés, ces villages, ces nègres paisibles, sans autres armes pour se défendre que leurs bâtons et leurs flèches, étaient voués à une destruction certaine. La seule chose qui distingue ici leurs forfaits, c’est leur rapidité sauvage. Les musulmans sont, en effet, sur tous les points de l’Afrique, au nord, à l’orient, au centre, les ennemis des noirs et leurs bandes, pour employer l’expression trop juste d’un écrivain anglais, ont envahi le cœur de l’Afrique avec le dessein délibéré « de changer ce paradis paisible en un enfer. » C’est que pour eux, je l’ai déjà dit ailleurs, mais il faut le répéter sans cesse à l’Europe, réduire le nègre en esclavage est un droit, j’allais presque dire religieux, puisque c’est sur leurs doctrines qu’il repose. Ils enseignent, avec les commentateurs de leur Coran, que le nègre n’appartient pas à la famille humaine, qu’il tient le milieu entre l’homme et les animaux, qu’il est même, à certains égards, au-dessous de ces derniers. Dès lors, s’en emparer, le forcer à servir, est le droit du croyant, et non seulement il n’a pas de remords, mais il trouve une gloire farouche à réduire le noir, comme il y a de la gloire, pour nos chasseurs, à traquer le fauve et à l’abattre. Si le nègre est paisible, on a le droit d’incendier ses villages ; s’il se défend, on a le droit de lui ôter la vie ;

  1. « Maitre — disait à Stanley un des capitaines de son escorte — quand je vins ici pour la première fois, il y a huit ans, toute cette plaine entre Mana-Mamba et Nyangoué avait une population si dense, que tous les quarts d’heure nous traversions des jardins, des champs, des villages. Chaque hameau était entouré de troupeaux de chèvres et de porcs. On achetait un régime de bananes pour un cauri (petit coquillage servant de monnaie). Vous pouvez voir vous-même ce que le pays est devenu aujourd’hui. »
    (Lettre de Stanley datée de Nyangoué, 28 octobre 1876.)