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Congo, tout agonise, c’est l’expression d’un de mes Missionnaires.

Mais ici, Mes Très Chers Frères, et pour vous donner une plus exacte idée de faits sans autre exemple dans l’histoire, il ne suffit plus de résumer, la précision des témoignages est nécessaire. Je citerai donc les paroles de témoins oculaires. Je vous lirai une lettre que je viens de recevoir d’un missionnaire de la station de Kibanga, sur le Tanganika, celle où se trouve précisément un prêtre belge dont vous connaissez le zèle intrépide, l’abbé Vynke. Je l’ai donnée, il est vrai, en note de l’un de mes derniers discours, mais les journaux ne l’ont point reproduite et il faut qu’elle reçoive une nouvelle publicité. Je vais donc la lire, dans cette église, devant ces autels, comme dans les premiers temps du christianisme on y lisait les lettres où l’on racontait les supplices et la mort des martyrs.

« J’avais autrefois, à plusieurs reprises, visité le marché d’Oujiji, mais à cette époque les esclaves étaient peu nombreux, et je n’avais pas vu cet odieux trafic dans toute son horreur. À l’époque de ce dernier voyage, la ville venait d’être inondée, dans toute la force du terme, par des caravanes d’esclaves venus du Manyéma, etc., etc. Les esclaves, en raison du nombre, étaient à bon marché et l’on venait me proposer d’en racheter à vil prix, mais presque tous exténués de fatigue, de misère et mourant de faim ; quelques-uns auraient été même incapables de faire la traversée du lac pour arriver à la Mission. J’étais si pauvre que je dus presque tous les refuser.

« La place était couverte d’esclaves en vente attachés en longues files, hommes, femmes, enfants, dans un désordre affreux, les uns avec des cordes, les autres avec des chaînes. À quelques-uns, venant du Manyéma, on avait percé les oreilles pour y passer une petite corde qui les retenait unis.

« Dans les rues, on rencontrait à chaque pas des squelettes vivants, se traînant péniblement à l’aide d’un bâton ; ils n’étaient plus enchaînés parce qu’ils ne pouvaient plus se sauver. La souffrance et les privations de toute sorte étaient peintes sur leurs visages décharnés, et tout indiquait qu’ils se mouraient bien plus