Page:Charles Lavigerie - L’Esclavage africain. Conférence sur l’esclavage dans le Haut-Congo faite à Sainte-Gudule de Bruxelles.djvu/20

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 17 —

Mais on a dit que, du moins, une fois dans la maison de leurs maîtres, le sort des esclaves africains est plus doux. Je l’ai dit

    seuls, tantôt, par un raffinement de scélératesse, alliés à des tribus voisines auxquelles ils offrent leur part du pillage et qui le lendemain deviennent leurs victimes, à leur tour. Ils tombent ainsi la nuit sur les villages sans défense ; ils mettent le feu aux huttes de pailles. Ils déchargent leurs armes sur les premiers qu’ils rencontrent. La population commence à fuir, cherchant le salut dans les bois, au milieu des lianes impénétrables, dans les lits desséchés des rivières, dans les hautes herbes des vallées. On la poursuit, on tue tout ce dont on ne peut pas tirer parti sur les marchés de l’intérieur : les vieillards, les hommes qui résistent ; on prend les femmes et les enfants. Mais j’ai décrit déjà ces horreurs. Je me lasse de leur chercher des expressions nouvelles. Écoutez, Mes Très Chers Frères, ce triste tableau, que j’ai fait ailleurs, des caravanes qui entraînent les esclaves :

    Tout ce qui est pris est immédiatement entraîné, hommes, femmes et enfants, vers un marché de l’intérieur.

    Alors commence pour eux une série d’ineffables misères. Les esclaves sont à pied ; aux hommes qui paraissent les plus forts et dont on pourrait craindre la fuite on attache les mains et quelquefois les pieds, de telle sorte que la marche leur devient un supplice, et sur le cou on place des cangues à compartiments qui en relient plusieurs entre eux. C’est la description que nos Pères en font dans leurs lettres.

    On marche toute la journée. Le soir, lorsqu’on s’arrête pour prendre du repos, on distribue aux prisonniers quelques poignées de sorgho cru. C’est toute leur nourriture. Le lendemain, il faut repartir.

    Mais dès les premiers jours, les fatigues, la douleur, les privations en ont affaibli un grand nombre. Les femmes, les vieillards s’arrêtent les premiers. Alors, afin de frapper d’épouvante ce malheureux troupeau humain, ses conducteurs s’approchent de ceux qui paraissent les plus épuisés, armés d’une barre de bois, pour épargner la poudre ; ils en assènent un coup terrible sur la nuque des victimes infortunées, qui poussent un cri et tombent en se tordant dans les convulsions de la mort.

    Le troupeau terrifié se remet aussitôt en marche. L’épouvante a donné des forces aux plus faibles. Chaque fois que quelqu’un s’arrête, le même affreux spectacle recommence.

    Le soir, en arrivant au lieu de la halle, après les premiers jours d’une telle vie, un spectacle non moins horrible les attend. Ces marchands