Page:Charles Peguy - Cahiers de la Quinzaine 3e serie vol 1-4 - Jaurès -1901.djvu/241

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ne flattait les grands. Elle ne flatte pas plus les peuples qu’elle ne flattait les rois. Elle ne flatte pas plus les démocraties qu’elle ne flattait les monarchies ou les oligarchies. Nous savons qu’il y a eu dans le passé de longs temps et de vastes régions où la raison ne résidait qu’en des minorités, en des unités. Même il y a eu des nations où la raison ne résidait pas. Elle peut s’absenter aujourd’hui encore.

La raison ne procède pas de l’autorité démagogique. Ameuter les masses, lancer les foules est un exercice d’autorité non moins étranger à la raison que d’amasser quelque majorité, de lancer quelque régiment. Nous sommes aujourd’hui sous le gouvernement de la démagogie beaucoup plus que sous le gouvernement de la démocratie. Les tribuns, les avocats et les journalistes nous gouvernent lourdement. Libre de la monarchie, de l’oligarchie et de la démocratie, gouvernements réguliers, la raison est libre aussi de la démagogie, gouvernement de fait. Elle n’est pas plus soumise aux nouveaux courtisans qu’elle n’était soumise aux anciens. Ni les manifestations de la rue ni les manifestations des meetings ne valent au regard de la raison. La raison ne monte sur aucuns tréteaux. Les mouvements des masses ne pèsent pas plus que les révolutions de palais. Le peuple abusé ne peut pas faire que la raison ne soit pas la raison, et que la déraison devienne la raison. La foule abusée ne peut pas plus que ne pouvait le monarque abusé. Le peuple n’est pas souverain de la raison.

La raison ne procède pas de l’autorité manuelle. Autant il est vrai que la raison n’exerce aucune autorité,