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sans la raison estimer à sa juste valeur tout ce qui n’est pas de la raison. Et la question même de savoir ce qui revient à la raison et ce qui ne revient pas à la raison, ce n’est que par le travail de la raison que nous pouvons nous la poser.

Ce que nous demandons seulement, mais nous le demandons sans aucune réserve, sans aucune limitation, ce n’est pas que la raison devienne et soit tout, c’est qu’il n’y ait aucun malentendu dans l’usage de la raison. Nous ne défendons pas la raison contre les autres manifestations de la vie. Nous la défendons contre les manifestations qui, étant autres, veulent se donner pour elle et dégénèrent ainsi en déraisons. Nous ne la défendons pas contre les passions, contre les instincts, contre les sentiments comme tels, mais contre les démences, contre les insanités. Nous demandons que l’on ne fasse pas croire au peuple qu’on parle au nom de la raison quand on emploie des moyens qui ne sont pas les moyens de la raison. La raison a ses moyens propres, qu’elle emploie dans les arts, dans les lettres, dans les sciences et dans la philosophie. Ces moyens ne sont nullement disqualifiés pour l’étude que nous devons faire des phénomènes sociaux. Ce n’est pas quand la matière de l’étude est particulièrement complexe, mouvante, libre, difficile, que nous pouvons nous démunir d’un outil important, ou que nous devons le fausser.

Charles Péguy