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fameux Palladio, le Vitruve de son siècle, étoit natif de
Vicence. On prétend qu'ayant reçu quoique mccontento-
ment de la noblesse de sa ville, il s'en vengea indirecte-
ment en mettant à la mode le goût des façades dont il leur
donnoit des dessins magnifiques, qui les ruinèrent tous
dans l'exécution. En effet, on ne voit à chaque édifice que
façades do toutes sortes de manières, surtout d'ionique
(c'étoit son ordre favori), avec tous les combles chargés de
statues, trophées et autres embellissements. Ce seroit une
ridiculité que de vouloir citer ces maisons, vu la quantité,
sauf cependant le palais Montanari et celui des Chiericati
qui fait la face d'une petite place de Vicence. Avec cela,
non-seulement cette ville n'est pas belle, mais elle m'a
paru laide et désagréable. Ces belles maisons, outre
qu'elles ont l'air triste, ont pour acolytes de méchantes
chaumières qui les défigurent tout-à-fait. Bref, Vicence a
l'air pauvre, sale et mal tenu presque partout. Son plus
bel endroit est la place où est le palais de la Ragione,
c'est-à-dire de la Justice. Le toit est tout de plomb, d'un
dessin ovale assez singulier. Ce vaste et singulier ouvrage
de Palladio fait un grand ornement à cette place, aussi
bien que le palais du Capitaine et le Mont-de-Piété, où l'on
fait l'usure pour le secours des pauvres gens. Bien en-
tendu, cependant, que ces deux derniers palais sont fort
au-dessous du premier, qui, outre sa décoration de mar-
bre, a une tour que je crois plus haute que celle de Cré-
mone et plus svelte. Le dedans du palais me parut fort
médiocre, pour ce que j'en vis, n'ayant pu pénétrer qu'à
la première pièce, parce que le Podestat, recevoit actuel-
lement une visite de cérémonie de l'évêque. En récom-
pense, je vis sa marche qui avoit bien aussi bon air que
tout le sénat de ces mercadans de Gênes. La garde des
Dalmates ou Albanais précédoit, vêtus précieusement à la
grecque, comme des Janissaires. Monseigneur étoit dans
un superbe carrosse d'ébène dorée, suivi de deux autres
pareils ; le tout attelé de chevaux de la dernière beauté.
Les équipages du Podestat étoient verts et galants, conve-
nablement à son âge. C'est un joli jeune homme de vingt-
quatre ans, enseveli dans une perruque hors de toute me-
sure, de toute vraisemblance, et vêtu d'une veste rouge
et d'une longue robe noire, comme celle de Mousson Pan-
talon,