Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/141

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Vous croyez peut-être que la place Saint-Marc dont on on parlé tant est aussi grande que d’ici à demain. Rien moins que cela ; elle est fort au-dessous, tant pour la grandeur que pour le coup-d’œil des bâtiments de la place Vendôme[1], bien que magnifiquement bâtie ; mais elle est régulière, carrée, longue, terminée des deux bouts par les églises de Saint-Marc et de San-Germiniano[2], et des côtés par les Procuraties vieilles et neuves. Ces dernières forment un magnifique bâtiment, tout d’un corps de logis d’une très-grande longueur, orné d’architecture et le comble couvert de statues. Tant les neuves que les vieilles sont bâties sur des arcades sous lesquelles on se promène à couvert, et chaque arcade sert d’entrée à un café qui ne désemplit point. La place est pavée de pierres de taille. On ne peut s’y tourner, à ce qu’on dit, pendant le carnaval, à cause de la quantité de masques et de théâtres. Pour moi, qui n’ai pas vu cela, je l’en trouve actuellement toujours pleine. Les robes de palais, les manteaux, les robes de chambre, les Turcs, les Grecs, les Dalmates, les Levantins de toute espèce, hommes et femmes, les tréteaux de vendeurs d’orviétan, les bateleurs, les moines qui prêchent et les marionnettes, tout cela, dis-je, qui y est tout ensemble, à toute heure, la rendent la plus belle et la plus curieuse place du monde, surtout par le retour d’équerre qu’elle fait auprès de Saint-Marc, ce que l’on nomme Broglio. C’est une autre place plus petite que la première, formée par le palais Saint-Marc et le retour du bâtiment des Procuraties neuves. La mer, large en cet endroit, la termine. C’est de là qu’on voit le mélange de terre, de mer, de gondoles, de boutiques, de vaisseaux et d’églises, de gens qui partent et qui arrivent à chaque instant. J’y vais au moins quatre fois le jour pour me régaler la vue. Les nobles ont leur côté et ils se promènent et qu’on leur laisse toujours libre, c’est là qu’ils trament toutes leurs intrigues, d’où est venu à cette place le nom de Broglio. La grande place a dans un angle la haute tour de Saint-Marc, qui, quoique

  1. La place Saint-Marc rappelle plutôt le jardin du Palais-Royal qui est de même dimension et à peu près de même forme.
  2. L’église de San-Germiniano n’existe plus.