Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/15

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Une double énigme me préoccupe des que j’examine avec attention cette délicate et curieuse physionomie. À quoi tient-il qu’un homme si savant ait pu rester si vif et si leste ? À quoi tient-il que, parmi tant d’aptitudes sérieuses, ce qui triomphe définitivement, ce soit le goût des arts et du plaisir, le sentiment doucement ironique de la vie, l’observation rapide et nette de l’humanité ?

Il y a là un don de nature ; il y a de plus cette bénédiction des fées que les sociétés polies laissent tomber avec leurs caresses sur les fils de famille au berceau.

Charles De Brosses était d’une maison assez ancienne et réellement noble ; ses aïeux, originaires de Savoie, s’étaient distingués dans les armées françaises au temps des guerres du Milanais. Quand ils s’établirent en Bourgogne, ils se conformèrent au vieil adage : Cedant arma togœ. Le grand-père de Charles, qui s’appelait Pierre, siégeait au parlement de Dijon, comme s’il eût été sénateur de Rome. C’est pour cela sans doute qu’on lui fit cette belle oraison funèbre : « Il est mort aujourd’hui un grand républicain. » Grand républicain, cela voulait dire alors personnage austère, citoyen classique, magistrat sénatorial, digne d’être peint sur la chaise curule ; il est évident que Pierre De Brosses n’avait de républicain que la simplicité patricienne et la majesté du caractère et des mœurs. Le fils du grand républicain avait sans doute hérité de son père l’amour des lettres latines. D’après M. Th. Foisset, le meilleur historien de cette famille, il adorait Lucrèce et Tite-Live, en joignant à ce culte un goût passionné pour l’histoire et la géographie.

À peine échappé de sa coquille, Charles trouva sous ses doigts toutes sortes de sphères et de mappemondes : ce furent ses jouets d’enfant, comme la géographie et l’histoire devaient être plus tard les amusements de sa jeunesse. Il en résulta que l’étude ne lui parut jamais assez morose pour l’effaroucher. Compagne de ses jeux d’abord, et plus tard distraction toute naturelle de ses travaux au parlement, il garda toujours avec elle cette leste familiarité du premier âge, qui donne, il est vrai, de faciles