Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/175

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Nous partîmes de Venise, le 30 août, comme nous y étions arrivés, c’est-à-dire dans notre petit ami Bucentaure le cadet. Le vent qui souffloit très-impétueusement nous eut bientôt fait regagner l’embouchure de la Brenta, le long de laquelle nous retrouvâmes tous ces palais, dont je vous ai parlé. Nous revîmes avec plaisir les belles peintures de Zelolti, au palais Foscarini. Cet homme, qui a travaillé dans le goût de Paul Veronese, l’a surpassé dans les ouvrages à fresque. Nous parcourûmes à loisir les jardins du doge Pisani. Ils sont immenses et magnifiques ; mais mal entendus, mal distribués, et chargés de tous côtés de grands morceaux de bâtiments inutiles. Je ne puis souffrir qu’on fasse planter un jardin par des maçons. Nous l’emportons de beaucoup sur les Italiens pour cet article, et je n’ai rien trouvé dans celui-ci qui m’ait fait quelque plaisir, qu’une longue colonnade d’ordre dorique, très-bien figurée en charmilles.

Au bout de vingt-cinq milles, nous revîmes Padoue et notre ami le marquis Poleni qui nous renouvela ses politesses. Il fallut séjourner le 31, pour entendre Tartini qui passe communément pour le premier violon de l’Italie. Ce fut un temps fort bien employé. C’est tout ce que j’ai ouï de mieux pour l’extrême netteté des sons, dont on ne perd pas le plus petit, et pour la parfaite justesse. Son jeu est dans le genre de celui de Le Clerc, et n’a que peu de brillant ; la justesse du toucher est son fort. À tous autres égards, l’Anna-Maria des Hospitalettes de Venise l’emporte sur lui ; mais il n’a pas son pareil pour le bon esprit. Ce garçon, qui n’étoit pas fait pour ce métier-là, et qui s’y est vu réduit après avoir été abandonné de ses parents, pour avoir fait un sot mariage, tandis qu’il étudioit à l’Université de Padoue, est poli, complaisant, sans orgueil et sans fantaisie ; il raisonne comme un ange et sans partialité, sur les différents mérites des musiques françoise et italienne. Je fus au moins aussi satisfait de sa conversation que de son jeu. Je ne fus fas moins content du jeu excellentissime, sur le violoncelle, d’un abbé Vandini qui étoit avec lui.

Le 1er septembre, nous partîmes en poste, fort satisfaits d’abord de revoir des arbres et des champs, dont la vue est, au vrai, fort préférable à l’étemelle uniformité