Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/193

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trouvé de ville où les étrangers fussent aussi agréablement et où le commerce du monde fût aussi aisé.


La ville est partagée en deux factions, la françoise et l’allemande. Le comte Rossi et sa femme, zélés partisans du génie français, nous ont prévenus de toutes les politesses imaginables, et nous ont fait faire connaissance avec beaucoup de dames très-gontilles, chez qui l’accès est facile et la conversation agréable. Les femmes sont ici éveillées à l’excès, passablement jolies, et beaucoup plus que coquettes ; spirituelles, sachant par cœur leurs bons poètes italiens, parlant françois presque toutes. Elles citent Racine et Molière^ chantent le mirliton et la béquille, jurent le diable et n’y croient guère. Elles ont une coutume qui me paraît la meilleure et la plus commode du monde ; celle de s’assembler tous les soirs dans un appartement destiné à cela seul, et n’appartenant à personne, moyennant quoi personne n’en a l’embarras, ni la peine d’en faire les honneurs. Il y a seulement des valets de chambre gagés qui ont soin de donner tout ce dont on a besoin. On fait là tout ce qui plaît, soit qu’on veuille causer avec son amant, soit qu’on veuille chanter, danser, prendre du café ou jouer. La première ou la dernière de ces occupations sont celles que j’y ai vu le plus communément pratiquées ; mais quand on a joué et perdu, ce qui roule ordinairement entre cinquante sous ou un petit écu, ce seroit une malhonnêteté insigne de payer à celui qui a gagné. Les valets de chambre en tiennent registre, et deux jours après vous remettent votre compte de l’avantveille.


Quand nous n’allons pas là, nous allons, Sainte-Palaye et moi, passer notre veillée tête-à-tête avec le cardinalarchevêque Lambertini, bonhomme, sans façon, qui nous fait de bien bons contes de filles, ou de la cour de Rome. J’ai eu soin d’en enregistrer quelques-uns dans ma mémoire, qui me serviront dans l’occasion. Il aime surtout à en faire ou bien à en apprendre sur le Régent et sur son confident, le cardinal Dubois. Il me dit quelquefois : Parlate un jjoco di questo cardinale del Bosco. Je lui ai dit tous les contes que j’en savois, et j’ai vidé le fond du sac. Sa conversation est fort agréable ; c’est un homme d’esprit, plein de gaieté et qui a de la littérature. Il est sujet à se servir, dans la construction de ses phrases, de