Page:Charles de Brosses - Lettres familières écrites d’Italie - ed Poulet-Malassis 1858.djvu/50

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mune de cheminer, étoit un Turc qui, à ce qu’il nous dit, s’étoit, par la grâce de Dieu, fait chrétien depuis longtemps. Parbleu ! lui dit Lacurne, je t’en félicite, cela t’a fait une belle fortune.

Le parc, ou la maison du roi, est une espèce de petite ville à part. On y construit les galères dans de grands bassins secs qui donnent dans la mer ; quand une galère est finie, on ouvre les portes du bassin, et en rompant un bâtardeau, l’eau de la mer entre et les emmène. Les bois se travaillent dans les cours par les forçats, qui sont là, comme par toute la ville, en liberté, à cela près qu’ils sont enchaînés trois à trois, deux chrétiens et un Turc. Ce dernier étant dans l’impossibilité de se sauver pour être trop reconnaissable et ne savoir pas la langue, empêche les autres de s’échapper. Tout ce parc est composé de salles immenses ; celle où l’on file les câbles est percée de cent six arcades dans sa longueur. La plus belle est celle des armes, où il y a de quoi armer quinze mille hommes ; mais ce qui s’y fait le plus remarquer est la façon agréable dont les armes sont rangées en trophées, flammes, pyramides, soleils, faisceaux.

Chaque galère a sa salle qui contient tous ses agrès numérotés par le nom de la galère. Les autres salles sont des greniers et surtout des manufactures de laines et de coton. Huit cents rouets, qui tournent tous à la fois dans une galère, font à mon gré un coup d’œil fort plaisant. Ce sont les forçats qui travaillent seuls à ces manufactures. Ceux-là sont les plus heureux ; car, outre l’argent qu’ils gagnent journellement, selon leur habileté, ils ne vont jamais à la galère ni en mer, et chaque année on donne la liberté à six des plus sages d’entre eux. Je remarquai dans une des salles une roue fort ingénieusement inventée, avec laquelle on dévide plusieurs centaines de bobines à la fois.

L’intendant de la marine a sa maison dans le parc, jolie, bien ornée, avec un fort beau jardin. Il nous donna la felouque du roi pour nous mener le long du port au fort Saint-Nicolas, d’où l’on découvre en perspective toute la mer, les côtes et le coup d’reil charmant du port tout rempli de vaisseaux dans sa longueur. Ce fort et celui de Saint-Jean ferment l’entrée du port, qui est étroite et peu profonde, l’intention des Marseillais n’étant pas qu’il y