Page:Charnay Désiré Aventures d'une famille en voyage 1898.djvu/18

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mesure, les enveloppent comme un gant, afin qu’ils puissent porter leurs cavaliers et leurs charges sans se blesser jamais ; car en marche une simple égratignure se transforme vite en une plaie mortelle, et c’en est fait de la plus vaillante bête, qu’il faut abandonner ; c’en est fait du voyage et quelquefois du voyageur.

Des ouvriers experts taillaient donc dans de grandes pièces de cuir étalées sous les galeries, et des monceaux de feuilles de maïs amoncelées dans la cour servaient à la confection des bâts. Chaque pièce une fois terminée, mors, courroies, sous-ventrières étaient soigneusement examinés, puis selles et appareils étaient essayés sur chacun des animaux qui les devaient porter et à qui désormais ils devaient seuls appartenir.

Dans les cours extérieures on procédait à d’autres besognes ; c’était là qu’on préparait les vivres. On avait amené deux taureaux, bêtes superbes d’un roux flamboyant, à tête velue, au cou monstrueux, et qui poussaient des beuglements de tonnerre. Un épais lasso de cuir les tenait amarrés de fort près à un solide poteau. Un homme armé d’un coutelas bien emmanché, à lame courte, s’approchait de la bête, le lui plongeait dans la partie supérieure du cou, séparant les vertèbres, et le taureau tombait foudroyé. Il fallait voir alors avec quelle habileté l’animal était écorché, puis dépecé en lanières sanglantes, que l’on déposait, mêlées de sel, dans de grandes auges en bois. Elles y restaient vingt-quatre heures, après quoi on les suspendait en longues guirlandes sur des cordes, en plein soleil, pour les sécher au plus vite. Cette chair ainsi préparée s’appelle en espagnol du tasajo et se conserve indéfiniment. On mange le tasajo grillé sur des charbons ardents, ou bien on le fait revenir dans l’eau bouillante accompagné de quelques légumes secs, garbanzos (pois chiches), haricots et bananes ; cela constitue une espèce de pot-au-feu qui n’est pas à dédaigner en voyage, le puchero, le plat national. Dans ces mêmes cours extérieures, sous des auvents, des femmes accroupies devant leurs moulins de pierre, métaté, réduisaient en pâte des grains de maïs, que d’autres femmes aplatissaient en minces galettes et faisaient cuire sur des plateaux de terre