— Ah ! papa, tu te moques de moi.
— Non, mon enfant, car c’est là tout le problème. Procédons par ordre : il s’agit, d’abord de découvrir les lieux où l’acajou abonde ; à cet effet, le négociant a des sous-entrepreneurs, montéros. Le montéro est, un homme énergique, fait à la vie sauvage des bois, brisé à toutes les fatigues ; il part de son village, de bien loin quelquefois, suivi de deux Indiens et d’une mule chargée de vivres ; il a son revolver et son fusil, non point tant pour sa défense que pour la chasse, car, une fois ses vivres épuisés, il devra suffire à l’entretien de trois personnes.
« Il abandonne les sentiers battus pour se lancer en pleine forêt, s’ouvrant un passage étroit qui se referme derrière lui ; il reste quelquefois trois et quatre mois dans ces solitudes inexplorées, se bâtissant un abri contre les pluies torrentielles, disputant sa vie aux insectes tourmenteurs et aux fauves, errant tout le jour au milieu de terrains détrempés qui suent la fièvre, à la recherche des bois précieux. Il compte les arbres, les marque et, quand il revient, en donne le nombre à son chef de file. Il a étudié les lieux, supputé les frais d’enlèvement, s’est rendu compte des difficultés, car il ne peut tout prendre. En effet, combien d’arbres magnifiques il a rencontré dans ses longues pérégrinations ! quelle riche toison d’or il lui a été permis d’entrevoir et qu’il ne saurait atteindre ! Point de routes, des terrains inégaux, une végétation formidable, voilà les obstacles qu’il lui faudra vaincre pour enlever le trésor. La route, on la fera ; mais il faut qu’une rivière avoisine les chantiers, car, au delà de deux milles, l’exploitation devient impossible, elle serait trop coûteuse. Celle rivière, c’est l’associée bienveillante, la charretière infatigable qui, du haut de son cours, à travers les obstacles, précipices, chutes et rapides, amènera seule jusqu’à vos portes les billes précieuses.
« Voilà donc le terrain reconnu ; un arpenteur patenté s’y rend pour fixer les limites de la concession : et maintenant, coupeurs de bois, à l’ouvrage ! Non, pas encore ; la main-d’œuvre manque, les travailleurs sont rares, tous sont engagés, c’est-à-dire endettés par des entrepreneurs qui, sans ce système autorisé par les