Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/115

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vous, vous n’eussiez que la mienne ? Vous valez mieux que moi. Je vois en vous ce que je croyais presque impossible de réunir, autant de fermeté que de douceur, de discernement que de simplicité, de prudence que de droiture. Puisse cette passion, qui a développé des qualités si rares, ne vous pas faire payer trop cher le bien qu’elle vous a fait ! Puisse-t-elle s’éteindre ou vous rendre heureuse ! Cécile, qui était très fatiguée, me pria de la déshabiller, de l’aider à se coucher et de souper auprès de son lit. Au milieu de notre souper, elle s’endormit profondément. Il est onze heures, elle n’est pas encore levée. Dès ce soir, je commencerai à exécuter le plan de Cécile, et je vous dirai dans peu de jours comment il nous réussit.


QUINZIÈME LETTRE


Nous vivons comme Cécile l’a demandé, et j’admire qu’on nous fasse accueil dans un monde que nous négligions beaucoup. Nous y sommes une sorte de nouveauté. Cécile, qui a pris de la contenance, assez d’aisance dans les manières, de la prévenance, de l’honnêteté, est assurément une nouveauté très agréable ; et ce qui fait plus que tout cela, c’est que nous rendons à la société quatre hommes qu’on n’est pas fâché d’avoir. Les premières fois que Cécile a joué au whist, le Bernois voulut être son maître comme aux échecs, et l’assiduité qu’il a montrée auprès d’elle a un peu écarté le jeune lord. Les gens ont aussi perdu la pensée qu’il fallût le faire jouer constamment avec Cécile, comme ils l’avaient eue au commencement de l’hiver. Nous avons eu dans un même jour différentes scènes assez singulières, et des moments assez plaisants. Cécile avait dîné chez une parente malade, et j’étais seule à trois heures quand Milord et son parent en-