Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/134

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Le lendemain, qui était lundi, et le surlendemain, je fus en affaire, et ne voulus voir personne ; et mercredi dernier, à midi, nous étions en carrosse, Cécile, Fanchon, Philax et moi, sur le chemin de Renens. On avait bien donné l’ordre d’ouvrir notre appartement, de faire du feu dans la salle à manger, et nous comptions faire notre dîner d’une soupe au lait et de quelques œufs ; mais, en approchant de la maison, nous fûmes surprises de voir du mouvement, un air de vie, toutes les fenêtres ouvertes, de grands feux dans toutes les chambres qui le disputaient au soleil pour sécher et réchauffer l’air et les meubles. Arrivées à la porte, Milord et son parent nous aidèrent à descendre de carrosse, et portèrent dans la maison les boîtes et les paquets. La table était mise, le piano-forté accordé, un air favori ouvert sur le pupitre ; un coussin pour le chien auprès du feu, des fleurs dans des vases sur la cheminée : rien ne pouvait être plus galant ni mieux entendu. On nous servit le meilleur dîner ; nous bûmes du punch ; on nous laissa des provisions, un pâté, des citrons, du rhum, et on nous supplia de permettre qu’on vînt une fois ou deux chaque semaine dîner avec nous. — Quant à prendre le thé, Madame, dit Milord, je n’en demande pas la permission, vous ne refuseriez cela à personne. À cinq heures, on leur amena des chevaux, ils les laissèrent à leurs domestiques, et comme le temps était beau, quoique très froid, nous les reconduisîmes jusqu’au grand chemin. Au moment où ils allaient nous quitter, voilà un beau chien danois qui vient à nous rasant de son museau la terre couverte de neige, c’était un dernier effort, un monceau de neige l’arrête ; il cherche d’un air inquiet, chancelle, et vient tomber aux pieds de Cécile. Elle se baisse. Milord s’écrie et veut la retenir ; mais Cécile, lui soutenant que ce n’est pas un chien enragé, mais un chien qui a perdu son maître, un pauvre chien à moitié mort de fatigue, de faim et de froid, s’obstine à le