Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/147

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Je reviens, pour vous la peindre mieux, aux comparaisons que je n’ai cessé de faire depuis le premier moment où j’ai eu le bonheur de vous voir. Plus silencieuse que vous avec les indifférents, aussi aimante que vous, et n’ayant pas une Cécile, elle était plus caressante, plus attentive, plus insinuante encore avec les gens qu’elle aimait ; son esprit n’était pas aussi hardi que le vôtre, mais il était plus adroit ; son expression était moins vive, mais plus douce. Dans un pays où les arts tiennent lieu d’une nature pittoresque, qui frappe les sens et parle au cœur, elle avait la même sensibilité pour les uns que vous pour l’autre. Votre maison est simple et noble, on est chez une femme de condition peu riche ; la sienne était ornée avec goût et avec économie, elle épargnait tout ce qu’elle pouvait de son revenu pour de pauvres filles qu’elle faisait élever ; mais elle travaillait comme les fées, et chaque jour ses amis trouvaient chez elle quelque chose de nouveau à admirer, ou dont on jouissait. Tantôt c’était un meuble commode qu’elle avait fait elle-même, tantôt un vase dont elle avait donné le dessin, et qui faisait la fortune de l’ouvrier. Elle copiait des portraits pour ses amis, pour elle-même des tableaux des meilleurs maîtres. Quel talent, quel moyen de plaire cette aimable fille n’avait-elle pas !

Soigné, amusé par elle, ma santé revint, la vie ne me parut plus un fardeau si pesant, si insipide à porter ; je pleurai enfin mon frère, je pus enfin parler de lui ; j’en parlais sans cesse. Je pleurais et je la faisais pleurer. — Je vois, dit-elle un jour, pourquoi vous êtes tendre, doux, et pourtant un homme. La plupart des hommes qui n’ont eu que des camarades ordinaires et de leur sexe, ont peu de délicatesse et d’aménité, et ceux qui ont beaucoup vécu avec des femmes, plus aimables d’abord que les autres, mais moins adroits, moins hardis aux exercices des hommes, deviennent sédentaires, et avec le temps