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Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/154

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ture, imagina de faire venir un petit violoncelle, ivrogne, crasseux, mais très habile. Un signe imperceptible fait à son laquais évoquait ce petit gnome. Au moment où je le voyais sortir comme de dessous terre, je commençais par le maudire et je faisais mine de m’en aller ; mais un regard ou un sourire m’arrêtait, et souvent le chapeau sur la tête, et appuyé contre la porte, je restais immobile à écouter les choses charmantes que produisaient la voix et le clavecin de Caliste avec l’instrument de mon mauvais génie. D’autres fois je prenais en grondant ma harpe ou mon violon, et je jouais jusqu’à ce que Caliste nous renvoyât l’un et l’autre. Ainsi se passèrent des semaines, des mois, plus d’une année, et vous voyez que le seul souvenir de ce temps délicieux a fait briller encore une étincelle de gaieté dans un cœur navré de tristesse.

à la fin, je reçus une lettre de mon père : on lui avait dit que ma santé, parfaitement remise, ne demandait plus le séjour de Bath ; il me parlait de revenir chez lui et d’épouser une jeune personne, dont la fortune, la naissance et l’éducation étaient telles qu’on ne pouvait rien demander de mieux. Je répondis qu’effectivement ma santé était remise, et après avoir parlé de celle à qui j’en avais l’obligation, et que j’appelai sans détour la maîtresse de feu lord L ***, je lui dis que je ne me marierais point à moins qu’il ne me permît de l’épouser ; et le suppliant de n’écouter pas un préjugé confus qui pourrait faire rejeter ma demande, je le conjurai aussi de s’informer à Londres, à Bath, partout, du caractère et des mœurs de celle que je voulais lui donner pour fille. — Oui de ses mœurs, répétais-je, et si vous apprenez qu’avant la mort de son amant elle ait jamais manqué à la décence, ou qu’après sa mort elle ait jamais donné lieu à la moindre témérité, si vous entendez sortir d’aucune bouche autre chose qu’un éloge ou une bénédiction, je renonce à mon espérance la plus chère, au seul bien qui me fasse