Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/165

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a tant de langues qui ne demandent qu’à parler ! Qu’elles louent ou blâment, c’est tout un, pourvu qu’elles parlent. Il me semble que je les entends. Vous voyez, diraient-ils. Et puis fiez-vous aux apparences. C’était une si belle réforme ! Elle donnait aux pauvres, elle allait à l’église. Ce qu’on admire à présent serait peut-être alors traité d’hypocrisie ; mais, monsieur, on vous pardonnerait encore moins qu’à madame ; car, voyant combien elle vous aime, on trouve que vous devriez l’épouser, et l’on dirait toujours : que ne l’épousait-il ? — Ah ! Fanny, Fanny, s’écria douloureusement Caliste, vous ne dites que trop bien. Qu’ai-je fait ? dit-elle en français. Pourquoi lui ai-je laissé vous prouver que je ne puis plus changer de conduite, quand même je le voudrais ! Je voulus répondre, mais elle me conjura de sortir.

Un marchand du voisinage, plus matineux que les autres, ouvrait déjà sa boutique. Je passai devant lui tout exprès pour n’avoir pas l’air de me sauver. — Comment se porte madame ? Me dit-il. — Elle ne dort toujours presque point, lui répondis-je. Nous lisons tous les soirs, Fanny et moi, pendant une heure ou deux avant de pouvoir l’endormir, et elle se réveille avec l’aurore. Cette nuit j’ai lu si longtemps que je me suis endormi moi-même. — Et avez-vous déjeuné, monsieur ? Me dit-il. — Non, lui répondis-je. Je comptais me jeter sur mon lit pour essayer d’y dormir une heure ou deux. — Ce serait presque dommage, monsieur, me dit-il. Il fait si beau temps, et vous n’avez point l’air fatigué ni assoupi. Venez plutôt déjeuner avec moi dans mon jardin. J’acceptai la proposition, me flattant que cet homme-là serait le dernier de tous les voisins à médire de Caliste, et il me parla d’elle, de tout le bien qu’elle faisait et qu’elle me laissait ignorer avec tant de plaisir et d’admiration, que je fus bien payé de ma complaisance. Ce jour-là même Caliste reçut une lettre de l’oncle de son amant, qui la priait de venir incessam-