Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/172

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l’homme qui m’importuna hier ? — Vous pouvez l’amener toujours, dit-elle, mais moi je ne puis renvoyer l’autre, tant que personne n’aura sur moi des droits plus grands que n’en a mon bienfaiteur, qui m’a fait faire connaissance avec lui, et m’a priée de le bien recevoir. — Il est amoureux de vous, lui dis-je après m’être promené quelque temps à grands pas dans la chambre, il n’a point de père, il pourra… je ne pus achever. Caliste ne me répondit rien ; on annonça l’homme qui me tourmentait, et je sortis. Peu après je revins. Je résolus de m’accoutumer à lui plutôt que de me laisser bannir de chez moi, car c’était chez moi. J’y venais encore plus souvent qu’à l’ordinaire, et j’y restais moins longtemps. Quelquefois elle était seule, et c’était une bonne fortune dont tout mon être était réjoui. Je n’amenais plus le petit garçon, qui au bout de quelques jours s’en plaignit amèrement. Un jour, en présence de lady Betty, il adressa ses plaintes à mon père, et le supplia de le mener chez Mistriss Calista, puisque je ne l’y menais plus. Ce nom, la manière de le dire firent sourire mon père avec un mélange de bienveillance et d’embarras. — Je n’y vais pas moi-même, dit-il à sir Harry. — Est-ce que votre fils ne veut pas vous y mener ? reprit l’enfant. Ah ! Si vous y aviez été quelquefois, vous y retourneriez tous les jours comme lui. Voyant mon père ému et attendri, je fus sur le point de me jeter à ses pieds ; mais la présence de lady Betty ou ma mauvaise étoile, ou plutôt ma maudite faiblesse, me retint ! Oh ! Caliste, combien vous auriez été plus courageuse que moi ! Vous auriez profité de cette occasion précieuse ; vous auriez tenté et réussi, et nous aurions passé ensemble une vie que nous n’avons pu apprendre à passer l’un sans l’autre. Pendant qu’incertain, irrésolu, je laissais échapper ce moment unique, on vint de la part de Caliste, à qui j’avais dit les plaintes de sir Harry, demander à milady que son fils pût dîner chez elle. Le