Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/179

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de me conduire de façon que vous ne rougissiez pas de moi. Adieu, l’heure s’écoule, et dans un instant on viendra me dire qu’elle est passée ; adieu, vous pour qui je n’ai point de nom, adieu pour la dernière fois. » La lettre était tachée de larmes, celles de mon père tombèrent sur les traces de celles de Caliste, les miennes… je sais la lettre par cœur, mais je ne puis plus la lire. Deux jours après, lady Betty, tenant la gazette, lut à l’article des mariages : Charles M*** of Norfolk, with Maria Sophia*** Oui, elle lut ces mots ; il fallut les entendre. Ciel ! Avec Maria Sophia !… Je ne puis pas accuser lady Betty d’insensibilité dans cette occasion. J’ai lieu de croire qu’elle regardait Caliste comme une fille honnête pour son état, avec qui j’avais vécu, qui m’aimait encore, quoique je ne l’aimasse plus, qui, voyant que je m’étais détaché d’elle, et que je ne l’épouserais jamais, prenait avec chagrin le parti de se marier, pour faire une fin honorable. Certainement lady Betty n’attribuait ma tristesse qu’à la pitié ; car, loin de m’en savoir mauvais gré, elle en eut meilleure opinion de mon cœur. Toute cette manière de juger était fort naturelle et ne différait de la vérité que par des nuances qu’elle ne pouvait deviner.

Huit jours se passèrent, pendant lesquels il me semblait que je ne vivais pas. Inquiet, égaré, courant toujours comme si j’avais cherché quelque chose, ne trouvant rien, ne cherchant même rien, ne voulant que me fuir moi-même, et fuir successivement tous les objets qui frappaient mes regards ! Ah ! Madame, quel état ! Et faut-il que j’éprouve qu’il en est un plus cruel encore ! Un matin, pendant le déjeuner, sir Harry, s’approchant de moi, me dit : je vous vois si triste, j’ai toujours peur que vous ne vous en alliez aussi. Il m’est venu une idée. On parle quelquefois à maman de se remarier, j’aimerais mieux que ce fût vous que tout autre qui devinssiez mon