Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/197

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au moment où je le voudrais sans désobliger ses parents. Cette nuit même j’écrivis à Caliste tout ce qui s’était passé. J’exigeai qu’elle me répondît, et je promis de continuer à lui écrire. — Ne nous refusons pas, lui disais-je, un plaisir innocent, et le seul qui nous reste.

Je fus d’avis que nous fissions le voyage par mer, pour avoir cette expérience de plus. Nous nous embarquâmes à Plymouth ; nous débarquâmes à Lisbonne. De là nous allâmes par terre à Cadix, puis par mer à Messine, où nous vîmes les affreux vestiges du tremblement de terre. Je me souviens, madame, de vous avoir raconté cela avec détail, et vous savez comment, après une année de séjour en Italie, passant le mont Saint-Gothard, voyant dans le Valais les glaciers et les bains, au sortir du Valais les salines, nous nous sommes trouvés au commencement de l’hiver à Lausanne, où quelques traits de ressemblance m’attachèrent à vous, où votre maison me fut un asile, et vos bontés une consolation. Il me reste à vous parler de la malheureuse Caliste.

Je reçus sa réponse à ma lettre un moment avant de m’embarquer. Elle plaignait son sort, mais elle approuvait ma conduite, mon voyage, et faisait mille vœux pour qu’il fût heureux. Elle écrivit aussi à mon père, pour le remercier de sa pitié, et lui demander pardon des peines dont elle était la cause. L’hiver vint. L’oncle de lord L*** ne se rétablissant pas bien de sa goutte, elle se décida à rester à Londres. Il fut même malade pendant quelque temps d’une manière assez sérieuse, et elle passa souvent les jours et la moitié des nuits à le soigner. Quand il se portait mieux, il voulait l’amuser et s’égayer lui-même, en invitant chez lui la meilleure compagnie de Londres en hommes. C’étaient de grands dîners ou des soupers assez bruyants, après lesquels le jeu durait souvent fort avant dans la nuit, et il aimait que Caliste ornât la compagnie jusqu’à ce qu’elle se séparât. D’autres fois il l’engageait