Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/21

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ce gentil monsieur, qui trotte déjà dans le cerveau de la pauvre fille, est un jeune étranger, Henri Meyer, fils d’un honnête marchand de Strasbourg, neveu d’un riche négociant de Francfort, et arrivé depuis peu à Neuchâtel pour y étudier le commerce ; c’est un apprenti de comptoir, rien de plus. Mais il a de l’esprit, des sentiments, assez d’instruction : il est bien né. Ses lettres, qui suivent celles de Juliane, et qu’il adresse à son ami d’enfance, Godefroy Dorville, à Hambourg, nous décèlent sa distinction naturelle et nous le font aimer. Il commence par juger assez sévèrement Neuchâtel et ses habitants. Aussi, pourquoi faut-il qu’il soit tombé tout d’abord en pleines vendanges dans des rues sales et encombrées ? Grands et petits, on n’a raison de personne en ces moments, chacun n’étant occupé que de son vin :


« C’est une terrible chose que ce vin ! Pendant six semaines je n’ai pas vu deux personnes ensemble qui ne parlassent de la vente[1] ; il serait trop long de t’expliquer ce que c’est, et je t’ennuierais autant que l’on m’a ennuyé. Il suffit de te dire que la moitié du pays trouve trop haut ce que l’autre trouve trop bas, selon l’intérêt que chacun peut y avoir ; et aujourd’hui on a discuté la chose à neuf, quoiqu’elle soit décidée depuis trois semaines. Pour moi, si je fais mon métier de gagner de l’argent, je tâcherai de n’entretenir personne du vif désir que j’aurais d’y réussir ; car c’est un dégoûtant entretien. »


Henri Meyer, tout bon commis qu’il est au comptoir, a donc le cœur libéral, les goûts nobles ; il a pris, à ses moments perdus, un maître de violon, il songe aux agréments permis, ne veut pas renoncer aux fruits de sa

  1. La vente, fixation annuelle du prix du vin, faite par le Gouvernement.