Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/227

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L’astre de madame de Charrière n’a pas trop pâli durant tout ce premier séjour ; il lui écrit constamment, abondamment, et même de certains détails qu’il n’est pas absolument nécessaire de raconter à une femme. Il se reporte souvent en idée à ces deux mois de bonheur à Colombier, et il a l’air, par moments, de croire en vérité que son avenir est là. Un voyage qu’il fait en Suisse, dans l’été de 1793, dut contribuer à le détromper ; quelques années de plus, quelques derniers automnes avaient achevé de ranger madame de Charrière dans l’ombre entière et sans rayons. Il retourne encore à Brunswick au printemps de 1794, mais il n’y tient plus, il revient en Suisse, il y rencontre pour la première fois madame de Staël, le 19 septembre de cette année. Un plus large horizon s’ouvre à ses regards, un monde d’idées se révèle ; une carrière d’activité et de gloire le tente. Il arrive à Paris dans l’été de 1796, il y embrasse une cause, il s’y fait une patrie.

Le reste est connu, et l’on a raison de dire avec M. Gaullieur que « cette avant-scène de la biographie de Benjamin Constant est la seule dont il soit piquant aujourd’hui de s’enquérir : elle forme, dit-il, comme une contre-épreuve de la première partie des Confessions de Jean-Jacques. C’est le même sol et le même théâtre ; ce sont d’abord les mêmes erreurs et les mêmes agitations, presque les mêmes idées, mais passées à une autre filière et reçues par un monde différent. »

On peut se demander avant tout comment une influence aussi réelle, aussi sérieuse que l’a été celle de madame de Charrière, n’a pas laissé plus de trace extérieure dans la carrière de Benjamin Constant ; comment elle a si complètement disparu dans le tourbillon et l’éclat de ce qui a succédé, et par quel inconcevable oubli il n’a nulle part rendu témoignage à un nom qui était fait pour vivre et pour se rattacher au sien. M. Gaullieur n’hésite