Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/242

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La foudre grondait sur ma tête,
Et je l’écoutais sans terreur.
Mon vaisseau s’est brisé, ma carrière est finie.
J’ai quitté sans regret ma languissante vie,
J’ai cessé de souffrir en cessant d’exister.
Au sein même du port j’avais prévu l’orage ;
Mais, entraîné loin du rivage,
A la fureur des vents je n’ai pu résister.
J’ai prédit l’instant du naufrage,
Je l’ai prédit sans pouvoir l’écarter.
Un autre plus prudent aurait su l’éviter.
J’ai su mourir avec courage,
Sans me plaindre et sans me vanter.

« Pas tout-à-fait sans me vanter pourtant, madame, voyez l’épitaphe…


A vingt-deux milles de Kendal, Lancaster, 1er septembre.

« Mes plans d’Amérique, madame, sont plus combinés que jamais. Si je ne me marie ni ne me pends cet hiver, je pars au printemps. J’ai parlé à plusieurs personnes au fait. Je compte aller sérieusement chez M. Adams[1], avant de quitter Londres, prendre encore de nouvelles informations ; et si le démon de la contrainte et de la défiance ne veut pas quitter mon pauvre Désert, je lui céderai la place[2]. — J’emprunterai d’une de mes parentes, qui m’a déjà prêté souvent et qui m’offre encore davantage (ce n’est pas madame de Severy), huit mille

    l’état civil de Lausanne : « Benjamin Constant, fils de noble Juste Constant, citoyen de Lausanne et capitaine au service des États-Généraux, et de feu madame Henriette de Chandieu ; sa défunte femme, né le dimanche 25 octobre, a été baptisé en Saint-François, le 11 novembre 1767, par le vénérable doyen Polier de Bottens, le lendemain de la mort de madame sa mère. » Ainsi, Benjamin Constant, orphelin de mère, pouvait dire avec Jean-Jacques Rousseau : «Ma naissance fut le premier de mes malheurs. » On sent trop, en effet, qu’à tous deux la tendresse d’une mère leur a manqué.

  1. Le célèbre John Adams était alors en mission à Londres pour les États-Unis.
  2. Les ennuis domestiques de Benjamin Constant provenaient en grande partie de sa belle-mère.