Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/245

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Il est de retour en Suisse au commencement d’octobre 1787. Je crois bien qu’avant de se rendre à Lausanne, il passa (et je lui en sais gré) par Colombier : il y arriva à pied, à huit heures du soir, le 3 octobre 1787, lui-même a noté presque religieusement cet anniversaire. Le lendemain 4, il était à Lausanne, et il écrit aussitôt :

    tel qu’il sera un jour, avec sa légèreté, sa mobilité d’émotions, ses instincts de joueur et de moqueur, et aussi avec toute sa grâce. La voici :

    Bruxelles, 19 novembre 1779.

    « J’avais perdu toute espérance, ma chère grand’mère ; je croyais que vous ne vous souveniez plus de moi, et que vous ne m’aimiez plus. Votre lettre si bonne est venue très à propos dissiper mon chagrin, car j’avais le cœur bien serré ; votre silence m’avait fait perdre le goût de tout, et je ne trouvais plus aucun plaisir à mes" occupations, parce que dans tout ce que je lais j’ai le but de vous plaire, et, dès que vous ne vous souciez [sic) plus de moi, il était inutile que je m’applique [sic). Je disais:Ce sont mes cousins qui sont auprès de ma grand’mère qui m’effacent de son souvenir ; il est vrai qu’ils sont aimables, qu’ils sont colonels, capitaines, etc., et moi je ne suis rien encore; cependant je l’aime et la chéris autant qu’eux. Vous voyez, ma chère grand’mère, tout le mal que votre silence m’a fait:ainsi, si vous vous intéressez à mes progrès, si vous voulez que je devienne aimable, savant, faites-moi écrire quelquefois, et surtout *aimez-moi malgré mes défauts ; vous me donnerez du courage et des forces pour m’en corriger, et vous me verrez tel que je veux être, et tel que vous me souhaitez. Il ne me manque que des marques de votre amitié ; j’ai en abondance tous les autres secours, et j’ai le bonheur qu’on n’épargne ni les soins, ni l’argent pour cultiver mes talents, si j’en ai, ou pour y suppléer par des connaissances. Je voudrais bien pouvoir vous dire de moi quelque chose de bien satisfaisant, mais je crains que tout ne se borne au physique ; je me porte bien et je grandis beaucoup. Vous me direz que, si c’est tout, il ne vaut pas la peine de vivre. Je le pense aussi, mais mon étourderie renverse tous mes projets. Je voudrais qu’on pût empêcher mon sang de circuler avec tant de rapidité, et lui donner mie marche plus cadencée; j’ai essayé si la musique pouvait faire cet effet : je joue des adagio, des largo, qui endormiraient trente cardinaux. Les premières mesures vont bien, mais je ne sais par quelle magie les airs si lents finissent toujours par devenir des prestissimo. Il en est de même de la danse ; le menuet se termine toujours par quelques gambades. Je crois, ma chère grand’mère, que ce mal est incurable, et qu’il résistera à la raison même; je devrais en avoir quelque étincelle, car j’ai douze ans et