Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/282

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ne l’a éié, même quand l’académie est venue assister à quelque représentation[1]. Je fis la partie d’un des princes cadets qui jouait !!! et causait !!! et je m’ennuyais suffisamment. Au milieu de la partie, j’oubliai parfaitement que j’étais à Brunswick ou plutôt que vous n’y étiez pas ; je médis : Je reverrai cette personne (ce qu’il y a de drôle, c’est que je ne pensais pas directement à vous par votre nom, mais que je n’avais que l’idée vague d’une personne avec qui j’aimais à être, et avec laquelle je me dédommagerais de la contrainte et de la fatigue de la cour). Cette idée se fortifia, je supportais paisiblement l’ennui du jeu, l’ennui du souper, et j’attendais avec toute l’impatience imaginable le moment où je rejoindrais la personne indéterminée que je désirais si vivement. Tout d’un coup je me demandai : Mais qui est donc cette personne ? Je repassai toutes mes connaissances ici, et il se trouva que cette amie qui devait me consoler, avec qui I was to unbosom and unburthen myself même soir, était vous, à deux cent cinquante lieues de l’endroit de mon exil. Je m’étais si fortement persuadé que je ne pouvais manquer de vous retrouver au sortir de la cour, que j’eus toute la peine du monde à me rapprivoiser avec l’idée de notre séparation et de l’immense distance où nous étions l’un de l’autre. Cette espèce de distraction méprend quelquefois. Quand je me dis : J’aurai un moment très ennuyeux, ou je me trouverai dans un petit embarras, ou j’éprouverai une sensation désagréable, je me réponds : J’ai une personne avec qui je m’en consolerai bien vite ; et puis il se trouve que je suis à un bout du monde et que vous êtes à l’autre. Bonsoir, madame, à demain[2].

  1. Ce Barbet de Colombier a tout l’air d’être madame de Charrière en personne, qu’il appelle souvent de ce petit nom de Barbet, par allusion sans doute à la fidélité d’amitié qu’ils s’étaient promise. Madame de Charrière faisait souvent représenter chez elle de petites comédies de sa composition.
  2. Tout ceci et ce qui suit est sans doute très aimable, très spi-