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NOTICE.

lui : tu ne te reprocheras pas d’avoir regardé quelque autre chose, d’avoir pensé à quelque autre chose, d’avoir dit un mot qui pût lui avoir fait de la peine un instant ; tu lui expliqueras ta pensée ; elle aura été honnête, et tout sera bien. Tu feras plus pour lui que pour moi, mais tu m’aimeras plus que lui. Nous nous entendrons mieux ; nous nous sommes toujours entendues, et il y a eu entre nous une sympathie qui ne naîtra point entre vous. Si cela te convient, épouse-le, Eugénie. Penses-y cependant : regarde autour de toi pour voir si quelque autre n’obtiendrait pas de toi un autre sentiment. N’as-tu pas lu quelques romans ? et n’as-tu jamais partagé le sentiment de quelque héroïne ? Sache aussi si ton époux ne t’aime pas autrement que tu ne l’aimes. Dis-lui, par exemple, que tu as une amie qui t’aime chèrement, et que tu n’aimes personne autant qu’elle. Vois alors s’il rougit, s’il se fâche : alors ne l’épouse pas. Si cela lui est absolument égal, ne l’épouse pas non plus. Mais, s’il te dit qu’il a regret de te tenir loin de moi, et que vous viendrez ensemble à Neuchâtel pour me voir, ce sera un bon mari, et tu peux l’épouser. Je ne sais où je prends tout ce que je te dis ; car avant ce moment je n’y avais jamais pensé. Peut-être cela n’a-t-il pas le sens commun. Je t’avoue que j’ai pourtant fort bonne opinion de mes observations… non pas observations, mais comment dirai-je ? de cette lumière que j’ai trouvée tout-à-coup dans mon cœur, qui semblait luire exprès pour éclairer le tien. Ne t’y fie pourtant pas : demande et pense. Non, ne demande à personne ; on ne t’entendra pas ! Interroge-toi bien toi-même. Adieu. »


Et Meyer est digne d’elle, même par l’esprit ; écrivant A, son ami Godefroy, il n’est pas en reste, à son tour, pour ces finesses d’âme subitement révélées :