Page:Charrière - Caliste ou lettres écrites de Lausanne, 1845.djvu/330

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tôt une autre lettre, et je tâcherai de faire partir celle-ci aujourd’hui.

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Ce 11 octobre 1794.

S’il vous reste des courses à faire, prenez une bonne voiture fermée. Si vous devez aller encore chez quelque riche tante, mettez dans votre poche un morceau de viande froide et un pot de confitures. J’espère qu’après cela vous viendrez ici et que le grand plaisir que j’aurai à vous voir vous fera trouver quelque plaisir à vivre. Vous me dites avec bien de l’esprit et bien des antithèses que vous n’existez presque plus. Fort heureusement je n’en crois rien. — Aujourd’hui vous avez dîné chez madame de Staël, et, supposé que vous ayez eu encore ce matin votre mélancolique humeur d’hier, elle est sûrement passée ce soir. Vous aurez entendu et dit de l’esprit ; vous aurez ri ostensiblement et peut-être aussi en cachette, enfin vous vous serez récréé et ainsi créé à neuf (pas tant à neuf ; vous vous serez refait ce que vous étiez il y a quelques jours), vous vous trouvez à l’heure qu’il est un très aimable Constantinus. Il ne s’agit pas de végéter toujours comme un sot ou comme une plante, mais il faut végéter de cette sorte quelquefois et en prendre votre parti.

M. de la R** a des chagrins, et il se trouve que c’est nous, M. de Ch. et moi, qui l’aimons et l’estimons de tout notre cœur, qui lui en avons attiré. J’y vois du moins grande apparence. M. de Charrière a écrit pour lui rendre service et il lui aura nui ; j’ai parlé à vous et peut-être à d’autres, par intérêt, pitié, estime, et j’aurai produit l’effet que produit la haine… Peut-être ne vous ai-je pas parlé, mais vous ai-je écrit ; en ce cas-là, mes lettres retardées peuvent avoir été lues et rapportées. La jolie chose que cela, l’aimable trésor de réflexions que cette pensée ! Vous êtes l’homme du monde qui redit le moins