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Le Barbet, fable.


On voit que madame de Staël n’était pas en reste d’avances flatteuses avec madame de Charrière, et que c’était celle-ci qui se retirait. Notez qu’à la date de ces lettres Benjamin Constant n’était pas encore entre elles deux. Il ne connut madame de Staël qu’en septembre 1794. C’est deux ou trois mois après, je le conjecture, que madame de Charrière écrivait la petite fable suivante, dont le sens est assez transparent. Nous savons déjà que le Barbet, c’est elle, et, quant au nouveau venu de race précieuse, le signalement le fait assez reconnaître.


Ce 24 novembre.


_____Un vieux Barbet cher à son maître,
_____Chien caressant et dévoué,
___S’il se voyait quelquefois rabroué,
___Se consolait, tout prêt à reconnaître
_____Que c’était là le droit du jeu.
_____Chacun de bile a quelque peu,
___Et qui reçoit tous les jours des caresses
___Peut bien parfois supporter des rudesses.
_____De l’amitié les hauts et bas
_____Valent mieux que l’indifférence
_____Décidément moi je le pense,
Et le Barbet aussi. Mais ne voilà-t-il pas
_____Qu’un jour son maître fait l’emplette
_____D’un petit chien (bichon, levrette,
_____L’un ou l’autre, il importe peu) :
_____Son allure est vive et brillante,
_____Son poil luisant, son œil de feu,
_____Et sa manière en tout charmante ;
_____Car, sans compter que pour l’esprit
_____Il est de race précieuse,
_____Dans l’école la plus fameuse
_____Pour les tours on l’avait instruit.
_____Le maître à l’excès s’en engoue,
_____Et sans merci le flatte et loue
_____En présence du vieux Barbet,
_____Lequel, d’abord tout stupéfait,
_____Baisse l’oreille, fait la moue,
_____Puis de l’humble rôle qu’il joue
_____Se dégoûte enfin tout-à-fait.


FIN.