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NOTICE.

écrit-elle, m’a fait lire avec intérêt tous ses romans, et les plus médiocres m’ont laissé l’idée d’une femme qui sent et qui pense[1]. »

Dès les années des Lettres Neuchateloises et des Lettres de Lausanne, madame de Charrière connut Benjamin Constant sortant de l’enfance. Mais Benjamin Constant eut-il une enfance ? A l’âge d’environ douze ans (1779), on le voit, par une lettre à sa grand’mère, déjà lancé, l’épée au côté, dans le grand monde de Bruxelles ; il y parle de la musique qu’il apprend, des airs qu’il joue, et dans quelle manière ? « Je voudrais qu’on pût empêcher mon sang de circuler avec tant de rapidité et lui donner une marche plus cadencée ; j’ai essayé si la musique pouvait faire cet effet. Je joue des adagio, des largo, qui endormiraient trente cardinaux. Les premières mesures vont bien ; mais je ne sais par cruelle magie les airs si lents finissent toujours par devenir des prestissimo. Il en est de même de la danse : le menuet se termine toujours par quelques gambades. Je crois, ma chère grand’mère, que ce mal est incurable. » — Et à propos du jeu dont il est témoin dans ses soirées mondaines : « Cependant le jeu et l’or que je vois rouler me causent quelque émotion. » Il est déjà avec toute sa périlleuse finesse, avec tous ses germes éclos, dans cette lettre[2].

Au retour de ses voyages et son éducation terminée, il vit madame de Charrière, et s’attacha quelque temps à elle, qui surtout l’aima. Le souvenir s’en est conservé. On raconte que, lorsqu’il était à Colombier chez elle, comme ils restaient tard le matin, chacun dans sa cham-

  1. Je dois la connaissance de ce jugement, ainsi que plusieurs des documents de cette biographie, à la bienveillance d’un homme spirituel et lettré du canton de Vaud, M. de Brenles.
  2. On la peut lire tout entière dans la Chrestomathie de M. Vinet, 2e édition, tome I.